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fatale, nécessaire, inéluctable, à laquelle il est interdit, sous peine d’un naïf anthropomorphisme, de chercher une cause : car la seule cause des phénomènes nécessaires est leur nécessité même. »

Tel est le raisonnement des biologistes prudens qui ne paraissent pas accepter la finalité, mais ils ne se rendent peut-être pas compte que cette influence de la sélection et de l’hérédité, c’est encore la finalité.

Une loi, biologique ou non, porte en elle-même toutes ses conséquences. Si la loi fatidique de l’hérédité et de la sélection a conduit la matière vivante à pulluler sur l’écorce terrestre, et à prendre les formes sous lesquelles elle s’est propagée et diversifiée, c’est que ce développement et ces formes étaient inclus dans la loi même. De même qu’une équation compliquée, avant même qu’un mathématicien de génie en ait su déduire les innombrables conséquences, les contient toutes en soi ; de même les lois de la sélection qui ont abouti à la vie d’êtres adaptés et compliqués, contiennent en germe, en puissance, tout le développement du monde animé.

Supposons qu’une loi fiscale soit promulguée qui détruise une industrie prospère ; toutes les conséquences funestes de cette loi sont incluses en elle. Misères, maladies, suicides, exils, révolutions : tout cela est contenu dans la loi édictée. Supposons qu’une loi soit bienfaisante ; tous les bienfaits qui naîtront d’elle, sont contenus en elle.

Les lois qui dirigent les phénomènes sont responsables de ces phénomènes. Puisque les lois de la sélection ont eu pour résultats des vies merveilleusement compliquées et organisées, c’est que des merveilles de complication et d’organisation étaient en puissance dans ces lois.

Or, en suivant à travers les âges les successifs acheminemens de la matière vivante plastique vers les formes actuelles, on découvre vaguement une complication croissante. Les premières formes vivantes étaient surtout végétales ; puis sont venus des invertébrés et des vertébrés inférieurs. Les mammifères n’ont apparu que plus tard ; et l’homme, homo sapiens, pourvu d’une intelligence supérieure, est venu presque en dernier lieu. Tout se passe comme si, lente dans ses agissemens, procédant par des progrès presque insensibles, féconde en avortemens et en informes ébauches, la loi biologique qui régit les êtres avait voulu réaliser l’existence de l’homme.