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Quand on touche une patelle, qui adhère à la roche du rivage, elle se colle avec une telle force qu’il est presque impossible de l’en arracher.

Beaucoup d’insectes et de crustacés, si on les retient par la patte, se libèrent en brisant rapidement le membre par lequel ils sont maintenus (autonomie). Que l’on prenne un crabe par sa pince, et on ne pourra le faire captif, car d’un petit choc brusque il va se dégager, et cependant une très grande force serait nécessaire, bien supérieure à celle que peut donner un crabe, pour arracher cette patte, si le muscle ne se brisait pas lui-même.

Des insectes, des mollusques, des poissons même revêtent les couleurs et les formes des endroits qu’ils habitent, à ce point qu’un ennemi ne peut plus les apercevoir que difficilement. Certains insectes ont pris exactement les apparences d’une feuille, tant et si bien que, même en étant averti, on ne les distingue pas de la feuille (mimétisme).

Nous pourrions multiplier ces exemples, et prouver qu’il est absolument impossible de ne pas admettre maintes singulières et habiles adaptations des êtres à leurs conditions d’existence, et par conséquent l’utilité des organes et appareils.

A vrai dire, les biologistes n’ont pas essayé de contester l’utilité. Mais ils distinguent l’utilité et la finalité. Que les organes soient utiles, ils ne peuvent le nier. Qu’ils aient apparu pour satisfaire à une fonction déterminée, voilà ce qu’ils se refusent énergiquement à croire.

M. Leclerc du Sablon, qui vient de publier un livre ingénieux et profond sur les incertitudes de la biologie, ne reconnaît nullement la finalité des organes anatomiques ou des agencemens physiologiques ; et cependant il est forcé d’admettre que les organes ont un rôle, une fonction, voire un rôle utile à la défense de l’être, et une fonction protectrice. Il ne conteste pas qu’il soit utile au poulpe de déverser un liquide noir, à la patelle d’adhérer sur son rocher, à la phyllie de ressembler à une feuille, et au crabe de se délivrer par une fracture autotomique ; et en effet on ne peut nier l’évidence. Mais, selon lui, ces fonctions protectrices ont des causes naturelles et non des causes finales. Ce n’est pas pour s’entourer d’obscurité que le poulpe lance un liquide noir : c’est parce que des causes naturelles successives, se perpétuant de génération en génération, ont assuré