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Les anatomistes, sans être pour cela défenseurs des finalités, font remarquer, ne fût-ce que comme moyen mnémotechnique, l’heureuse adaptation de toutes les parties.

S’ils décrivent l’œil, ils prétendent que l’œil est protégé par l’arcade orbitaire, résistante, et qu’il est enchâssé dans l’orbite qui le garantit. Il y a les sourcils et les cils qui le défendent contre les poussières ; il y a aussi les paupières, voiles membraneux, légers, souples. Dans l’orbite même, le globe oculaire est mobile, assez pour échapper à la plupart des chocs extérieurs ; il est recouvert par une conjonctive très ténue, qui n’empêche pas la lumière d’arriver, et en même temps très délicate, puisque le moindre contact d’un corps étranger produit une vive douleur, fait rejeter la tête en arrière, fermer énergiquement les deux paupières, avec un flux de larmes, qui tendent à expulser le corps étranger. Tous ces mouvemens réflexes de défense sont tellement impérieux et rapides qu’ils se produisent avant même que la conscience n’en soit avertie. L’œil s’est défendu lui-même avant qu’on n’ait eu à préparer sa défense.

Au dire de certains savans, l’anatomiste n’aurait nul droit de s’exprimer ainsi. Il lui serait permis de décrire l’arcade orbitaire, les sourcils, les cils, les paupières ; mais il ne serait pas autorisé à conclure que ces appareils sont de bonne protection pour l’œil. Le physiologiste aurait le droit de mentionner les réflexes de la conjonctive au contact mécanique des objets, de l’iris à la lumière, mais il ne devrait rien dire au delà, ni conclure que ces réflexes sont éminemment utiles à la défense de l’appareil visuel ; car il dépasse ainsi la constatation des faits : et il est interdit d’aller plus loin que les faits.

Mais, pour ma part, je suis loin d’approuver, voire de comprendre cette timidité ; car il y a autour de l’œil tout un ensemble de formes et de fonctions effectuant une protection si efficace que le mot de protection doit être prononcé.

Il n’est que trois manières possibles de s’exprimer sur la protection de l’œil : ou dire que l’œil est mal protégé, ce qui est assez absurde ; ou dire qu’il est bien protégé, ou ne rien dire du tout. Mais comme, en réalité, il est bien protégé, ce n’est vraiment pas faire œuvre scientifique que de ne pas oser le dire.

Le poulpe, quand il est surpris par un ennemi, laisse aussitôt échapper un flot de liquide noir qui le soustrait à la vue de son agresseur, et qui lui permet d’échapper.