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Nous sommes tellement habitués à ces merveilles que nous les regardons distraitement, sans daigner en rien conclure. Et cependant comment ne pas dire, en voyant cette ardeur intensive de tout être vers la multiplication et l’accroissement : « Tout se passe comme si la Nature avait voulu la vie ? »

On objecte d’abord que, si la matière vivante n’était pas tout entière animée par le grand désir inconscient de vivre, la vie n’existerait plus. Depuis longtemps les êtres et leurs descendans eussent péri, écrasés par les forces cosmiques supérieures, redoutables, qui les entourent, et contre lesquelles ils ont dû, pour vivre, réagir avec énergie. Par conséquent, dit-on, cet effort vers la vie est une fatalité, non une finalité : ç’a été une des conditions nécessaires de l’existence, qu’elle ait été assurée ou non par le désir de l’existence.

Mais on ne voit pas bien la force de cette objection ; car la nécessité n’exclut nullement la finalité.

Une objection plus sérieuse m’a été faite par Sully Prud’homme ; il m’a reproché le mot d’effort, certainement entaché d’anthropomorphisme. L’effort, dit-il, est un phénomène psychique et mécanique, qui ne peut avoir rien de commun avec une grande loi mondiale ; à moins de supposer au monde et à la Nature des sentimens, des désirs, des volontés qui ressemblent aux sentimens, aux désirs, aux volontés de l’homme.

A vrai dire, si l’on emploie le mot d’effort, c’est sans prétendre l’assimiler à l’effort d’un homme qui veut construire une maison, ou à l’effort d’un cheval qui tire une charrette. Quand il s’agit de lois aussi générales, on ne trouve pas dans la langue d’expression satisfaisante pour les indiquer. Aussi ai-je dit, — et je crois être resté dans le domaine purement scientifique : — tout se passe comme si les êtres vivans avaient une irrésistible tendance à vivre, et faisaient effort pour vivre.

Or, cela n’est certainement pas une hypothèse. Au contraire, c’est l’indication d’un fait ; ou plutôt, c’est la conséquence logique qui se dégage d’un grand nombre de faits, très cohérens.

Faisons pour un instant une hypothèse de grossier anthropomorphisme ; à savoir que la Nature a voulu la vie, comme un architecte veut la construction d’une maison. Elle n’aurait pas pu créer un monde autre que le monde actuel. Le spectacle de l’univers vivant serait le même. Les cellules auraient toutes la même ardeur à s’accroître : car la condition nécessaire de la