Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/807

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que de croire à une finalité humaine des choses, en attribuant aux forces cosmiques ou biologiques une volonté, un désir, qui ont quelque rapport avec une volonté humaine ou un désir humain.

Or, bien évidemment, il faut se garder de toute idée anthropomorphique. Il serait aussi ridicule de supposer la Nature faite pour l’homme, que de supposer la Nature douée d’intentions humaines. Ce sont des propositions tellement évidentes qu’il suffît de les énoncer pour les réfuter. La créature humaine est trop misérable, trop infime, pour qu’il y ait quelque rapport entre l’immense nature et sa chétivité. C’est comme si l’huitre qui bâille sur son rocher s’imaginait que l’Océan a été fait pour elle. C’est comme si la fourmi qui déambule dans la forêt se figurait que le monde a été construit pour alimenter sa fourmilière.

Heureusement, nous serons plus sages que cette huître et que cette fourmi. Nous n’irons pas supposer que l’univers a été fait pour nous, et nous ne prétendrons jamais qu’une intention analogue à une intention humaine gouverne le monde où nous nous agitons.

Peut-être cependant, en examinant les conditions biologiques des êtres, arriverons-nous à quelque conclusion générale.


IV

Une des grandes forces de la Nature vivante, c’est celle qui pousse tous les êtres à s’accroître et à se reproduire. C’est avec une puissance irrésistible que toute forme vivante, — genus omne animantum, — tend à se développer aux dépens du milieu qui l’entoure, et à faire naître des formes semblables à elle-même. Lucrèce, en vers sublimes, avait commencé son poème sur la Nature des choses, en invoquant Venus genitrix, qui peuple les mers et les forêts.

Ce n’est donc pas introduire une idée bien nouvelle que de constater une fois de plus cette souveraine puissance reproductrice de la Nature ; et pourtant il faut s’y arrêter quelque peu.

Il semble que la Nature, indifférente à la vie de l’individu, ait pris, pour assurer la vie de l’espèce, des précautions formidables.