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adapté à cette fonction. Pour lui, chaque disposition anatomique, même la plus insignifiante en apparence, a un rôle. Toute forme est utile. Toute fonction est commandée par la forme. Tout dans l’être vivant est agencé pour assurer la vie, et la meilleure vie possible.

Or, comme il commettait souvent de lourdes erreurs anatomiques, il était conduit à d’assez risibles conclusions, trouvant une utilité éclatante à des dispositions anatomiques qui n’existent pas. Et cependant son grand ouvrage : De usu partium (περὶ χρείας τῶν ἐν ἀνθρώπου σώματι μορίων) reste un des plus beaux livres de la physiologie. L’idée d’une étroite finalité domine ce magnifique ouvrage. Les êtres sont faits pour vivre, et chacune des parties de leur organisme est merveilleusement adaptée à toutes les exigences de la vie.

Après Galien, physiologistes, biologistes et philosophes se sont livrés à d’innombrables variations sur ce thème. Comme Galien, ils ont exagéré, au point de la rendre parfaitement grotesque, la théorie des causes finales.

Et d’abord, ils ont imaginé que tout dans la Nature avait été fait pour l’homme ; ils ont été par exemple jusqu’à prétendre que la lune avait pour principale fonction de rendre les nuits moins obscures. Bernardin de Saint-Pierre n’a-t-il pas dit très sérieusement que le melon était sillonné par des côtes, pour pouvoir être plus agréablement découpé et mangé en famille ?

Toutes les fois qu’on voudra assigner le plaisir ou l’utilité de l’homme comme finalité à l’univers, on tombera dans de pareils excès de ridicule. Tout ce qu’on pourra dire à cet égard sera d’un assez bon comique, et on aura beau jeu à railler ces puérilités.

On donne en général le nom d’anthropomorphisme à l’erreur qui consiste à traiter les choses naturelles comme des choses humaines. D’après la définition de l’Académie et de Littré, anthropomorphisme signifie doctrine ou opinion de ceux qui attribuent à Dieu une figure humaine, ou des actions et des affections humaines. Qu’il s’agisse de Dieu ou de la Nature, c’est tout un, et l’anthropomorphisme, tel qu’on l’entend aujourd’hui, c’est la doctrine d’après laquelle les phénomènes de la Nature sont, quant à leur cause et leur mécanisme, plus ou moins assimilables à des phénomènes humains.

Aussi, en biologie, est-ce commettre le péché d’anthropomorphisme