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Il ne faut pas d’ailleurs se dissimuler que nous voilà placés ici aux confins de la science et de la métaphysique ; mais je ne traiterai pas la question au point de vue métaphysique, et je tâcherai de rester toujours dans le domaine scientifique, précis et indiscutable. Cependant il ne me paraît pas qu’un biologiste, après l’examen méthodique et analytique des phénomènes particuliers, doive s’interdire une conclusion générale, rationnelle, sous prétexte qu’elle n’est pas susceptible d’une vérification expérimentale. Beaucoup de sciences comportent des conclusions qui s’imposent, encore qu’on ne puisse les démontrer directement. Ce ne sera donc pas faire de la métaphysique que de chercher s’il n’y a pas quelque loi générale gouvernant ou inspirant l’évolution des organismes vivans.


II

Sur notre humble planète terrestre, dans le monde solaire, dans l’immense univers, apparaissent des phénomènes accessibles à nos sens, formes et forces que nous pouvons très partiellement connaître, en découvrant ce qu’on est convenu d’appeler des lois. Or ces lois cosmiques, qui ont tous les caractères de la nécessité, sont-elles aveugles ? Ne peut-on déceler en elles comme un plan caché, un dessein, une obscure tendance à un certain devenir ? Si oui, c’est qu’il y a une finalité.

Or, à l’envisager ainsi, le problème est inabordable. Rien ne serait plus ridicule que la prétention de l’homme à trouver la raison d’être du Cosmos qui l’entoure. Un petit être, fragile, passager, pourvu de quelques sens imparfaits et d’une intelligence débile, promenant pendant quelques instans sa pauvre existence sur un imperceptible grain de poussière, serait vraiment bien insensé s’il espérait comprendre les secrets ressorts de l’immense machine qui l’écrase sous l’infinité de sa grandeur et de sa durée.

Résignons-nous par avance à ne rien connaître du vaste monde, vraiment rien, malgré nos efforts. Au seuil de toutes nos Universités, si fières de leur triste savoir, il faut inscrire cette décourageante devise : Ignorabimus.

On ne s’attendra donc pas à nous voir témérairement aborder le problème de la finalité mondiale. Le ciel est trop haut et trop loin ; et il faut se contenter de la terre.