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inflexible du maréchal. Il était convaincu qu’aucune responsabilité propre n’incombait à celui qui avait obéi, même malgré son avis. Il jugeait l’ordre de Palikao absurde, il ne l’aurait pas donné, mais son supérieur le lui donnait, il n’avait qu’à s’y soumettre. Catinat avait fait de même : le duc de Villeroy lui avait transmis l’ordre d’attaquer le prince Eugène au poste de Chiari près de l’Oglio (11 septembre 1701) ; il se fit répéter l’ordre trois fois, et se tournant vers les officiers qu’il commandait : « Allons donc, messieurs, il faut obéir. » Puis il chercha à se faire tuer, fut blessé, et quitta le service.

Mac Mahon imita d’autant plus facilement la conduite de Catinat que, dans cette circonstance, il y avait dans l’obéissance un sacrifice de sa propre personne : il n’ignorait pas le sort qui lui était réservé et, aussi grand par l’abnégation qu’il l’avait été tant de fois par l’intrépidité, l’âme désolée, mais toujours indomptable, il se soumit. Mgr D’Hulst, qui était à ses côtés, m’a raconté que la lecture du télégramme terminée, le maréchal le froissa dans ses mains et le jeta par terre, s’écriant : « On veut que nous allions nous faire casser les reins ; allons-y. »

Il voulut que personne ne partageât sa responsabilité, et avant même de se rendre auprès de l’Empereur, il retira les ordres de retraite sur Mézières déjà en voie d’exécution, et il prescrivit à son armée de reprendre le lendemain la direction de l’Est.

L’Empereur, troublé par les sombres appréhensions, lui envoya le prince de la Moskova, un de ses aides de camp, pour lui faire observer que le mouvement sur Montmédy était bien dangereux, qu’il vaudrait peut-être mieux reprendre le projet de la veille, la marche sur Mézières. Le maréchal répondit qu’il avait pesé le pour et le contre et qu’il persistait dans sa résolution[1]. L’Empereur, fidèle au rôle passif auquel il s’était résigné, n’insista pas et, consterné, comme toute l’armée, il marcha au désastre.

« L’ordre de marcher vers Paris nous animait tous, dit un témoin, le prince Georges Bibesco, sortir à tout prix du statu quo. Aussi avec quelle promptitude les ordres furent-ils exécutés ! Chacun marchait d’un pas plus ferme, on semblait avoir oublié le froid, la pluie, l’anxiété. On sentait

  1. Déposition du maréchal Mac Mahon dans l’enquête du procès Trochu. Mac Mahon a dit : « Tous les mouvemens qui ont été ordonnés, l’ont été par moi et ces mouvemens, étaient l’inverse de ce que l’Empereur voulait faire. »