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pas l’abandonner. La jonction entre l’armée de Metz et celle de Châlons était plus que jamais au-dessus des possibilités humaines, Mac Mahon n’avait à opter qu’entre le salut et la perte de sa propre armée.

Il était faux qu’en se dirigeant vers Mézières Mac Mahon l’eût perdue, en s’exposant à être attaqué par toutes les forces de l’ennemi. Les marches qui le séparaient du prince royal et du prince de Saxe lui assuraient au contraire la sécurité de la retraite, et si les corps allemands avancés s’engageaient témérairement, il eût été aisé de leur infliger des échecs.

Le vrai cas de conscience militaire menaçant, qui se posait devant lui, était de savoir comment il accepterait un ordre qu’il considérait comme devant amener la ruine de son armée. Un seul parti lui était interdit : donner sa démission. Quand un homme de gouvernement, civil ou militaire, est engagé dans une action, se produisît-il un incident contraire à sa volonté, il ne peut protester en se retirant, parce que ce serait donner gain de cause à l’ennemi. Après la dépêche de Palikao, Mac Mahon ne pouvait pas plus se retirer que le ministère du 2 janvier après la demande de garanties. Les ministres civils n’avaient eu qu’une ressource, celle de conjurer, par leur sagesse, les conséquences désastreuses de la démarche accomplie en dehors d’eux. Mac Mahon avait un moyen de résistance plus efficace, c’était d’empêcher la démarche de s’accomplir, en lui refusant son obéissance. Qu’il en eût le droit, c’est certain. Napoléon a magistralement posé la règle suprême : « Un général en chef n’est pas à couvert par un ordre d’un ministre ou d’un prince éloigné du champ d’opérations et connaissant mal ou ne connaissant pas du tout le dernier état des choses. Tout général en chef qui, en conséquence d’ordres supérieurs, se charge d’exécuter un plan qu’il trouve mauvais ou désastreux est criminel. Le ministre, le prince donnent des instructions auxquelles le général en chef doit se conformer en son âme et conscience, mais ces instructions ne sont jamais des ordres militaires et n’exigent pas une obéissance passive. »

Il n’est aucun militaire[1] de marque qui n’ait souscrit à ce précepte :

« Des généraux, a dit Gouvion-Saint-Cyr, qui tiennent

  1. Voyez Marmont, Institutions militaires, p. 277.