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que Mac Mahon ferait ce que le bon sens stratégique conseillait, ils ne doutaient pas qu’il ne se fût replié sous la capitale et ils marchaient en droite ligne vers elle. La certitude qu’ils obtinrent le 24 août de l’abandon du camp de Châlons, de la présence de Mac Mahon à Reims, ne modifia pas leur supposition, car de Reims aussi, on couvrait latéralement Paris. Les Saxons tâtèrent la place de Verdun et essayèrent de l’enlever. Ils furent vigoureusement repoussés, se résignèrent à masquer seulement la place et continuèrent leur route.

Dans la soirée du 24 août (onze heures), l’état-major reçut par la voie de Londres un télégramme de Paris disant : « L’armée de Mac Mahon se concentre à Reims. L’empereur Napoléon et le prince sont avec elle. Mac Mahon cherche à faire sa jonction avec Bazaine. » De Berlin on leur envoya un télégramme du ministre prussien à Bruxelles, annonçant que l’Indépendance belge affirmait « que l’armée de Mac Mahon, dont on ignorait la direction, marchait rapidement vers Mézières. » Il paraît que le rédacteur en chef de l’Indépendance belge, ardent à servir les premières nouvelles à ses lecteurs, avait envoyé son fils en France, et que celui-ci avait marché jusqu’à ce qu’il se fût heurté à l’avant-garde de Mac Mahon dont il avait aussitôt télégraphié le mouvement à son journal. Le quartier-maître général Godbielski émit alors pour la première fois l’avis qu’ « une tentative des Français pour se porter de Reims au secours de Bazaine, si elle était difficilement admissible au point de vue militaire, pouvait cependant s’expliquer par des considérations politiques. » L’état-major la considérait néanmoins comme tellement déraisonnable qu’il ne s’y arrêta pas. Il ne put croire que, la route directe de Reims sur Metz étant coupée, un chef sensé tentât un détour aussi hasardeux le long de la frontière belge. « C’est impossible, aurait dit sentencieusement Moltke, ce serait trop bête. »

Un changement subit de direction eût singulièrement aggravé la tâche des Allemands : il eût fallu s’engager par des chemins de traverse, par les vastes forêts de l’Argonne, au milieu d’une région dans laquelle la subsistance des troupes n’avait pas été préparée, déranger l’itinéraire des ravitaillemens, demander aux troupes des efforts extraordinaires de marche et de souffrance. L’état-major ne crut pas que deux télégrammes de journaux suffissent à imposer la créance à une combinaison