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ventre vide, laissant derrière eux vivres et ustensiles, ce qui représentait d’irréparables privations lorsque l’alerte s’était calmée. Dans cet état de trouble et d’anxiété perpétuels, la pensée directrice s’éclipsait ; nul n’avait cette sollicitude toujours en éveil du détail, que, du petit au grand, avaient tous les chefs prussiens ; on mettait sur pied à la même heure tout un corps d’armée dont les dernières fractions, s’exténuant avant de se mouvoir, devaient attendre pendant des heures entières le moment de se mettre en route à leur tour.

Les intendans, en présence d’agitations toujours désordonnées, ballottés entre des ordres et des contre-ordres, ne sachant sur quel plan compter, malgré leur intelligence et leur bon vouloir, étaient à tout instant pris au dépourvu, d’autant plus qu’ils n’osaient, en pays ami, pratiquer en sa dureté le système des réquisitions. Tel châtelain français, qui allait supporter et satisfaire avec empressement les exigences prussiennes, se récriait avec fureur parce que des Français affamés s’étaient emparés de quelques fagots de son domaine. Autrefois nous avions enseigné aux Prussiens ces pratiques intelligentes qu’ils retournaient si opportunément contre nous. Les armées de la République et de l’Empire avaient vécu de réquisitions, et nos chefs de cavalerie de l’âge héroïque avaient donné des exemples classiques de ces marches intrépides en avant qui déconcertent et affolent l’ennemi[1]. Mais nos chefs militaires avaient oublié ces choses comme tant d’autres.


VI

Du 23 au 26 août, Mac Mahon s’avança de la sorte, torturé d’incertitudes, cherchant Bazaine à tâtons, envoyant aux renseignemens partout et n’en recueillant nulle part, ne se lançant dans une direction qu’en se tenant prêt à tourner dans une autre, sentant qu’il commettait une sottise et ne sachant se soustraire à l’oppression qui la lui imposait, se demandant à tout bout de champ ce qu’il ferait, n’hésitant point par incapacité militaire, mais par scrupule d’honneur et de devoir, ne voulant sacrifier ni Paris ni Metz, mais voyant de plus en plus clairement qu’il ne pourrait les sauvegarder l’un et l’autre et ne

  1. Voyez le Manuel de cavalerie de De Brack.