Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/738

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’étape, à ces dispositifs compliqués, à ces précautions exténuantes qui épuisent plus que la marche même : envoi des patrouilles dans tous les sens, établissement de lignes d’avant-postes se reliant entre eux, etc. Ils se contentaient de se faire précéder d’une avant-garde postée généralement derrière une coupure de terrain et couverte par des avant-postes ; ils établissaient des sentinelles et des postes à l’entrée des villages, afin de tenir en respect les habitans et d’assurer la transmission rapide des rapports ; puis ils se répartissaient les cantonnemens et se reposaient en toute tranquillité après avoir pris un repas qu’aucune inquiétude ne troublait et qu’aucune surprise n’abrégeait. Le lendemain, ils se trouvaient frais et dispos, en belle humeur de recommencer.

La nouvelle marche étant tracée par des ordres régulièrement transmis la veille, l’armée ne se mettait pas tout d’un coup sur pied à la même heure, mais successivement, par fractions, afin de ne pas user prématurément ses forces par une attente prolongée. La marche s’opérait sur un front très étendu, de manière à utiliser le plus grand nombre possible de routes. L’inquiétude de manquer de vivres ne ralentissait point, pas plus que la crainte d’une surprise ; l’Intendance, sûre de la régularité et de la persistance des opérations, n’avait aucune peine à assurer l’arrivée des convois et la ponctualité des distributions, et, comme elle fonctionnait en pays ennemi et n’avait pas le devoir de le ménager, elle usait largement des ressources de réquisitions vigoureusement faites.

Bien différentes les conditions dans lesquelles s’avançaient nos malheureuses troupes. Notre cavalerie n’était pas envoyée au loin, elle se livrait tout juste aux reconnaissances réglementaires, à courte distance ; on la destinait à l’office d’une réserve de combat, soit pour achever une victoire, soit pour conjurer ou retarder les effets d’une défaite. Aussi nos soldats étaient-ils toujours en alerte ; à tout instant ils croyaient que l’ennemi était sur leur dos en nombre, alors qu’ils n’étaient menacés que par quelques uhlans, qu’un coup de boutoir eût culbutés. Ils ne se cantonnaient pas paisiblement dans les villages, ils bivouaquaient sous la pluie ; après une journée pénible, ils passaient une partie de la nuit à faire la soupe, et à tout instant, sur un renseignement chimérique ou sous une appréhension sans réalité, on leur faisait renverser les marmites, et ils partaient le