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plus haute importance de conserver à la France l’armée de Châlons qui, bien que composée en partie de régimens de marche, avait néanmoins assez d’anciens cadres pour servir à réorganiser une armée de 230 à 300 000 hommes. Il conclut qu’il se dirigerait sur Paris, le surlendemain 23, à moins qu’il ne reçût de Bazaine, son chef direct, des instructions contraires.

« C’est la mort dans l’âme, dit-il, que je prends cette résolution. Je sais très bien que je vais être accusé de lâcheté pour n’être pas allé au secours d’un camarade, mais au-dessus de ma réputation je mets l’intérêt supérieur de la France et je ne crois pas qu’il me soit possible de compromettre la dernière armée qui lui reste et qui, avec les ressources immenses réunies à Paris, peut être bientôt en état de lutter contre toutes les forces de l’Allemagne et de ramener la victoire sous nos drapeaux[1]. »

L’Empereur, qui approuvait visiblement les considérations stratégiques du maréchal, avait néanmoins assisté à la discussion en témoin muet. Il ne rompit le silence que lorsque Mac Mahon représenta le danger d’engager son armée entre les trois armées prussiennes : « En effet, fit-il, le maréchal peut se trouver enveloppé par des forces bien supérieures ; alors, quel sera mon rôle ? — Oh ! le rôle de Votre Majesté sera bien simple, répondit Rouher. Elle n’aura plus qu’à se jeter au milieu des ennemis ! »

Rouher eut beau insister, Mac Mahon demeura inébranlable. Finalement, n’ayant pu convaincre, Rouher se laissa convaincre, et, comme il n’avait jamais beaucoup tenu à aucune de ses opinions, il se rangea sans réticences à l’avis du maréchal. Il fut convenu que Mac Mahon serait nommé généralissime de toutes les troupes destinées à repousser l’invasion, ce qui lui subordonnait Trochu ; qu’il prendrait immédiatement les mesures pour la défense de Paris, et que ces mesures seraient expliquées à l’armée et à la France par une lettre de l’Empereur et par une proclamation de Mac Mahon. Rouher rédigea les documens. La proclamation aux soldats est intéressante à reproduire, quoiqu’elle ait été inutile, parce qu’elle indique les raisons que Rouher avait trouvées convaincantes :

« Soldats, l’Empereur me confie les fonctions de général en chef de toutes les forces militaires qui, avec l’armée de Châlons,

  1. Déposition de Mac Mahon. Procès Bazaine.