détient et que, étant la plus forte, elle est sûre de le garder. Mais elle paraît bien avoir placé plus haut son idéal politique et avoir obéi à des considérations d’un autre ordre : elle a eu l’impression qu’elle pouvait jouer un rôle considérable dans les Balkans et que le moment était venu pour elle de s’y essayer. Pour cela, elle devait montrer quelque désintéressement, et elle l’a fait. Elle aurait pu, comme d’autres, profiter des circonstances présentes pour faire des conquêtes : personne n’attribuera ce caractère à l’acquisition de la bande de territoire qui va de Turtukaï à Baltchie. Quand la Roumanie affirme qu’elle n’a cherché là qu’à s’assurer une bonne frontière avec la Bulgarie, sa modération est une garantie de sa sincérité. Mais elle veut autre chose et elle ne s’en cache pas : elle veut contribuer, pour une part importante, prépondérante même, à l’établissement d’un véritable équilibre dans les Balkans. Cette idée de l’équilibre domine sa politique. Si elle s’est tournée contre la Bulgarie, c’est parce que cette dernière en rendait, par la poursuite de l’hégémonie, la réalisation impossible. Mais, qu’on ne s’y trompe pas, une Bulgarie suffisamment forte n’est pas moins nécessaire à l’équilibre que la Serbie et que la Grèce. Le problème consiste à établir entre les trois États une proportion telle qu’aucun d’entre eux ne l’emporte sur ses voisins. Quelque tort qu’ait eu la Bulgarie, lorsqu’elle a voulu écraser les autres, il ne faut pas qu’à son tour elle soit annihilée. C’est ce qu’a toujours pensé le gouvernement roumain et c’est sans doute en faisant appel à ce sentiment qu’on a pu, à Vienne, obtenir de lui une certaine modification dans son attitude. Le comte Hoyos, chef de cabinet du comte Berchtold, est allé remplir à Bucarest une mission qui n’est pas restée sans résultat, puisque le roi de Roumanie a écrit aux rois de Serbie, de Grèce et du Monténégro une lettre où on lit : « La connaissance que j’ai de la situation générale et des rapports entre les grandes Puissances, qui n’admettraient pas une trop grande diminution de la Bulgarie, me fait un devoir d’attirer l’attention de Votre Majesté sur l’état précaire dans lequel se trouve ce pays, et sur l’intérêt que nous avons d’arriver le plus tôt possible à un armistice, après avoir préalablement établi les mesures militaires les plus urgentes. » On remarquera ces mots : « La connaissance que j’ai de la situation générale et des rapports entre les grandes Puissances... » Ce n’est pas une simple impression que donne le roi Charles ; c’est un fait qu’il notifie, un fait qui est à sa connaissance et qu’il porte à celle des souverains balkaniques. Et il ajoute : « Toute nouvelle effusion de sang ne pourrait qu’exagérer la situation. »
Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/721
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.