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que M. Jaurès avec toute son incontinence oratoire. Le mot d’égalité a un tel prestige chez nous qu’il suffit de le prononcer. Aussi la Chambre tout entière, à l’exception d’un tout petit nombre de voix, a-t-elle voté d’enthousiasme l’amendement de M. Vincent. Du coup, le système transitoire et expérimental dont nous venons de parler est devenu impossible. L’amendement Vincent continuera de peser sur l’avenir comme il pèse déjà sur le présent. La classe sera un bloc indivisible. S’il y a des élémens surabondans, on les gardera. S’ils coûtent cher, on les payera. Plus de soutiens de famille : on paiera les familles indigentes : on les paiera même très cher, le double de ce qu’avait proposé le gouvernement, et il y aura des primes pour les familles nombreuses. La Chambre a jeté les millions à pleines mains, sans vouloir rien entendre. On est surpris de la facilité avec laquelle toutes ces choses folles ont été votées. Pourquoi n’a-t-on pas regardé d’où en venait la proposition ? On se serait arrêté peut-être ; on aurait compris ce que voulaient les socialistes unifiés et les radicaux-socialistes hostiles à la loi. Ils avaient deux buts ; ils ont atteint l’un, et ils continuent de poursuivre l’autre. Le premier était de rendre la loi absurde et intolérable. Le second, de la rendre si coûteuse qu’il faudrait, pour faire face aux dépenses qu’elle entraîne, voter d’urgence des impôts sur les riches, un impôt progressif sur le revenu, un impôt progressif sur le capital, d’autres encore. Conduits à l’assaut par M. Caillaux, ils ont obtenu de M. le président du Conseil des promesses dangereuses. La place nous manque pour en parler aujourd’hui comme il convient : nous en verrons d’ailleurs bientôt les effets.

Mais alors, dira-t-on, si la loi contient tant de défauts, pourquoi l’approuver ? Elle contient d’autres défauts encore : par exemple, l’octroi obligatoire à tous les hommes de quatre mois de congé, ce qui réduit la durée du service à 32 mois, — et cependant nous l’acceptons comme un moindre mal. Il est à désirer que le Sénat en corrige les défauts les plus graves, sans oublier toutefois que, surtout dans certaines circonstances, le mieux, suivant le proverbe, est l’ennemi du bien. Si imparfaite qu’elle soit, la loi que la Chambre vient de voter, à une majorité de loi voix, contient le principe du service de trois ans et, si oh la maintient et si on la pratique fermement, elle nous en donnera plus tard la réalisation totale. Alors nous aurons fait tout ce qui est en notre pouvoir pour résister à une agression étrangère et défendre, à l’occasion, nos intérêts ou notre honneur.

Le gouvernement a encouragé, aidé, soutenu la Chambre dans la