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simplicité : il a toujours protesté n’avoir jamais établi de liaison entre l’incorporation d’une classe à 20 ans et la libération de celle de 1910. Mais cette liaison s’est faite dans beaucoup d’esprits ; il était inévitable qu’elle s’y fit, et elle a eu deux conséquences fâcheuses : l’une de donner aux mutineries militaires une sorte de satisfaction, l’autre de remettre le service de trois ans à trois ans et, pendant cette période, de laisser notre armée, bien qu’elle comprit trois classes, dans un état qui ne vaudra guère mieux que celui d’aujourd’hui, bien qu’elle n’y en comprenne que deux.

Avons-nous besoin de dire combien il est regrettable qu’on ait eu l’air, — ce n’est, nous le voulons bien, qu’une apparence, — de faire une concession à l’insubordination militaire ? Dans cette apparence, M. Jaurès n’a pas manqué de voir, et surtout de montrer, une réalité. Le gouvernement a eu beau protester : M. Jaurès a continué d’affirmer, et ses affirmations prenaient dans les faits eux-mêmes un semblant de vérité. En vain le gouvernement expliquait-il que l’incorporation de la classe de 1913, à 20 ans, avait pour unique objet de pouvoir la libérer un an plus tôt. Nos jeunes soldats seraient ainsi rendus à la vie civile, après trois ans de service, au même âge où ils le sont aujourd’hui après deux ; et qui ne voit l’immense avantage qu’il y a là pour eux socialement, économiquement, industriellement, commercialement, enfin moralement et intellectuellement ? Tous ces adverbes joints font sans doute admirablement, mais ils n’ont pas convaincu M. Jaurès, qui a continué de ricaner et de dire : — Vous ne pouvez pas garder quatre classes ; donc, si vous en prenez deux cette année, vous vous placez vous-même dans l’obligation de libérer celle de 1910 ; les deux faits sont liés, et vous ne ferez croire à personne que vous n’avez pas voulu, par la liaison qui s’établit logiquement entre eux, vous donner un prétexte de libérer la classe dont vous aviez présenté le maintien sous les drapeaux comme un grand devoir patriotique qui s’imposait à vous. Les manifestations des casernes et notre opposition à la Chambre ont bien produit ce résultat. — Voilà ce que dit M. Jaurès, ce que ses amis répètent, et ce qui n’est pas de nature à décourager les partisans des moyens révolutionnaires. Nous espérons toutefois que l’énergie avec laquelle le gouvernement a réprimé les séditions militaires fera réfléchir leurs fauteurs.

Ce qui est encore plus grave, parce que l’effet en sera durable, est l’affaiblissement que l’incorporation de la classe de 20 ans apportera à l’armée. Comment croire que nos jeunes soldats soient aussi formés et aussi solides à 20 ans qu’à 21 ? S’ils l’étaient, il serait surprenant