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dans la littérature antique, son équivalent ; et il ne l’a point dans notre littérature classique, formée à l’école de l’antiquité, formée à l’école de la raison. Un tel lyrisme est résolument déraisonnable. Le romantisme a commencé de n’être pas raisonnable ; mais, au prix de ce lyrisme nouveau, le romantisme est calme et reposé. Ce lyrisme nouveau est du romantisme exaspéré, du romantisme qui a subi l’influence de Nietzsche, du romantisme dionysiaque.

Et l’on voit bien l’accord de notre époque et de ce lyrisme. Quelle époque ! La raison n’y est pas en honneur ; l’amour de l’ordre y a l’air d’une pauvreté. Quelle époque surexcitée ! Mais, sous ses turbulens dehors, elle manifeste une prodigieuse abondance de vie et de passion, bref une ardeur pareille à celle qui anime le lyrisme de Mme de Noailles.

Or, tel est, dans l’histoire, le rôle insigne des grands poètes. L’âme de leur époque, âme souffrante, âme éperdue, âme qui a ses folies, ses péchés, ils la prennent avec eux, ils la recueillent. Ils l’habillent de beaux vêtemens. Ils lui remplacent par de souveraines musiques les paroles balbutiantes de son orgueil, de son désir, de sa misère. Ils lui enseignent à chanter selon le mode ancien. Et ainsi ils la font entrer dans la troupe idéale où l’on imagine que chantent tour à tour lésâmes successives d’un peuple, l’une continuant l’autre, chacune avec sa fantaisie et dociles toutes à un invisible chef, — la nôtre qui célèbre sa frénésie la plus neuve sur des cadences que trois siècles de poésie française ont ordonnées et embellies.


ANDRÉ BEAUNIER.