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Il me semble qu’aussitôt on se rappelle ce visage de moine qui est peint dans le cloître du couvent Saint-Marc, à Florence : il a un doigt sur ses lèvres et indique qu’il faut se taire et sceller de mutisme sa certitude. C’est, pour lui, la certitude chrétienne. Pour l’auteur de ce poème, c’est une sorte de nihilisme, avec un désespoir stoïcien. D’ailleurs, il ne le dit pas. Les doigts sur ses lèvres, comme l’autre, il garde son secret : seulement, ses doigts à lui frémissent dans l’effort qu’ils font pour empêcher que la bouche ne se convulsé. On devine, dans ce chagrin, de la rancune. Et ce n’est pas l’occasion d’épiloguer sur les doctrines. Ce nihilisme, la philosophie ou la religion le corrigeait. Mais il n’apparaît point comme le terme d’une idéologie. Il résume provisoirement la stupéfaction que les vivans éprouvent devant la mort et qui est à l’origine de toute philosophie et de toute religion. Puis nous suffit déjà la beauté poétique de cette angoisse qui, près d’un tombeau, étreint la nymphe de la vie, — abattue, non, — déconcertée, interloquée : elle possède maintenant le fait auquel plus tard elle songera. La mort lui a bouleversé son univers et elle devra ordonner sous les espèces de la mort l’univers de la vie. Elle subit d’abord, avec toute sa volonté résolue, l’horreur de la dévastation.


Ce livre est magnifique. Tout ce qu’on a aimé dans les précédens ouvrages de Mme de Noailles, on le trouvera dans ce poème, et consacré par l’idée de la mort, symbole de toutes nos douleurs, qui sont faites avec de la mort, avec un peu de mort ou avec beaucoup de mort, toutes nos douleurs étant du souvenir, promesse de l’oubli, frère de la mort.

Livre magnifique ; et je ne dis pas chef-d’œuvre accompli. Mme de Noailles emploie — et fût-ce inconsidérément — plus de mots qu’il n’en faudrait ; il lui arrive de détourner les mots de leur bonne acception ; voire, elle n’évite pas le néologisme. Elle traite hardiment les préceptes de l’ancienne prosodie. Elle ne redoute pas l’hiatus, qui est parfois charmant ; elle ne redoute pas de placer devant une consonne un mot qui se termine par un e muet et de ne compter ce muet pour rien dans son vers ; elle ne redoute pas de mettre ensemble à la rime un pluriel et un singulier ; elle ne redoute pas grand’chose. Il y a des règles qu’elle refuse ; il y en a d’autres qu’elle accepte : et l’on ne sait guère pourquoi elle accepte les unes et refuse les autres. Avec toute son audace et avec tout son caprice, elle se plaît aux rythmes de Malherbe. Les libertés — rejet, enjambement (comme on dit) — que se permettaient et que cherchaient les romantiques, brisant le vers et,