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se découvre. Oui, nous étions hors de chez nous, fort loin, dans un riche et mot Orient ; nous sommes pris de nostalgie...


La dure splendeur étrangère
Nous étourdit et nous déçoit ;
Je me sens triste et mensongère...


Et puis :


Si je meurs ici, qu’on m’emporte
Près de la Seine au ciel léger !
J’aurai peur de n’être pas morte,
Si je dors sous des orangers.


Et ainsi nous sommes des prisonniers qui ont cherché, qui ont trouvé l’illusion de s’être sauvés. Il faut revenir ; ou plutôt il faut consentir à l’évidence : l’on était chez soi, pour y mourir.

Les images de la vie, celles que produit la nature et celles que l’art compose sont faites avec de la mort. Dans les climats authentiques ou inventés, il n’est pas de sûr abri. Le poète recourt alors aux mystiques espérances. C’est le sujet du troisième livre, dit des Élévations, ou le sujet de la plupart des poèmes qui sont groupés dans ce livre, et qui peut-être n’y sont pas groupés avec autant de soin qu’on le voudrait. Ce troisième livre, où il y a des pages admirables, est, à mon gré, moins admirable que les autres, et non seulement à cause de quelque désordre, mais à cause de la difficulté que trouve à converser avec Dieu cette poétesse païenne.


Comment vous aborder, redoutable prière ?...


C’est l’idée de la mort qui amène à Dieu la nymphe au cœur innombrable ; et la nymphe arrive, somme toute, un peu vite, un peu soudainement, enfin sans préparation.


Je vous nommerai Dieu, et je vous tends la main.


C’est charmant, si l’on veut, de grâce et de familiarité. Elle tend à Dieu la main, comme elle l’a tendue au soleil, à l’espace et aux fruits. Seulement Dieu est d’une autre nature ; elle s’en aperçoit : et elle en éprouve une sorte de gêne. S’aperçoit-elle aussi que sa poésie, courant et se multipliant par le monde, s’était bornée au monde ? Elle tâche de s’élever ; et elle retombe, avant d’avoir pris tout son essor. Du reste, ses élévations manquées sont poignantes ; et elles ont leur sublime, quand elles aboutissent à cet harmonieux désespoir :


Mais je ne vous vois pas, ô mon Dieu, et je chante
A cause du vide infini !...