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méditation. Cette poésie, je la comparais à une nymphe enivrée de lumière, d’odeurs et de bruits : telle était son allégresse. Et puis, sensible infiniment à l’heure et à son influence, elle s’est habillée du manteau brun du soir. Le soir est un moment où. la nature songe à son déclin. Ce songe est entré dans les yeux et dans l’âme de cette nymphe qui participait si gaiement aux fêtes du soleil. On dirait qu’ayant couru dès le matin frais, fleurissant et jaillissant, puis parmi les vives somptuosités de midi, toute à son entrain juvénile, elle s’arrête, quand tombe le silence crépusculaire, au bord d’un lac : les lacs sont la pensée de la nature, Psyché dans les bras formidables de Pan. Les couleurs se sont peu à peu atténuées ; il naît une triste rêverie. L’ombre s’est peu à peu répandue et, dans l’ombre, l’idée qui est celle de la fin des jours, l’idée de la mort.

Idée affreuse ; idée de révolte et de désespoir ; idée si insupportable que, pour en vêtir l’horrible nudité, il a fallu tout l’effort séculaire et le subtil travail de la philosophie et des religions. Mais, pour la nymphe que je suppose et dans la simple nature qui n’est que vie et mouvement, l’idée de l’immobile mort apparaît comme un scandaleux désastre. L’on ne s’en débarrasse plus ; elle a tout pénétré, elle a tout imprégné de sa mélancolie. Elle est avec vous désormais ; elle vous accompagne. Et, à toutes les pages du recueil que vient de donner Mme de Noailles : Les vivans et les morts, elle passe, fantôme furtif, ou s’installe, image funèbre.

Les poèmes sont répartis sous quatre chefs : les Passions, les Climats, les Élévations et les Tombeaux. Et l’idée de la mort n’est pas confinée dans le quatrième livre ; la mort ne reste pas dans les tombeaux.

Les Passions : et, à vrai dire, presque tout uniment les passions de l’amour. Ne suffisent-elles pas, quand le cœur le plus chaleureux les a prises, que l’imagination la plus fantaisiste les a ornées et la plus grande douleur consacrées ? Pour trouver de tels poèmes d’amour, il faut aller aux volumes de Mme Desbordes-Valmore, muse des larmes, celle-là ; muse éplorée sans cesse et qui, pour se divertir de sa souffrance, n’a rien, absolument rien, ni le jeu des métaphores, ni, les prouesses verbales, ni enfin les frivolités charmantes de la littérature. Ainsi, tout abandonnée à son amour, elle est peut-être plus touchante. L’est-elle plus que l’auteur de ce poème-ci ?


Tu vis, je bois l’azur qu’épanche ton visage.
Ton rire me nourrit comme d’un blé plus fin.
Je ne sais pas le jour où, moins sûr et moins sage,
Tu me feras mourir de faim.