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Mme de Noailles a formulé son « art poétique » sous ce titre : L’inspiration. Bref, soyez inspirés ; ou, en d’autres termes, ayez du génie. Ainsi, l’auteur ne livre pas son secret. Qu’est-ce, pourtant, que l’inspiration ? Eh bien ! c’est « un ardent désir qui descend au fond du cœur ; » et c’est, au bord des lèvres, un afflux de paroles bondissantes ; et c’est mille frissons vivans, joints à des rêves qui frémissent aussi ; c’est les tempes qui battent ; c’est un tourment qui vous harcèle ; c’est une crispation ; et c’est un feu. Notons ces mots ; je les emprunte au poème que j’appelais l’Art poétique de Mme de Noailles. Ils indiquent un état de l’âme, un état de l’esprit, sans doute, mais en outre un état physique, un état musculaire et nerveux. Définie ainsi, l’inspiration poétique n’est pas sans ressembler un peu à celle de la Pythie. C’est une ivresse, dit ailleurs Mme de Noailles.

Cette ivresse ne va point, à mon gré, sans quelques inconvéniens. Elle a pour conséquence un art extrêmement tumultueux, un art de fougue et un art qui sera plus attentif à conserver sa ferveur ou, du moins, à faire tenir tout son projet dans la durée de sa ferveur qu’à chercher les délicatesses de la perfection. C’est un art qui n’attend pas ; c’est un art qui n’a pas le loisir d’attendre.

Et, de temps en temps, l’on voudrait un peu de repos. Tant de zèle, et sans nulle relâche !.... Le poète nous mène, trop vite, nous mène de trésor en trésor, nous éblouit, nous divertit et nous ravit. La chevauchée la plus aventureuse nous découvre à chaque instant les plus singulières et attrayantes nouveautés, nous offre des horizons que nous n’avions pas vus, des émois que nous n’avions pas éprouvés, et un bruit de syllabes qui est la fête perpétuelle de nos oreilles, et un éclat d’images qui est la fête perpétuelle de nos yeux, et une joie qui semblait morte sur la terre. C’est un enchantement auquel il faut qu’on cède. Mais parfois on voudrait, au cours de cette conquête où le poète vous emporte parmi la nature multiple et variée, l’on voudrait s’apaiser un peu. S’apaiser, rêver un peu, rêvera peine, reprendre haleine avant de partir encore. C’est un printemps de délices, un été somptueux, où l’on vous conduit. Soudain, dans ces merveilles, vous ressentez le modeste désir d’un peu de soir, d’un peu de songe.


Eh bien ! ce que vous attendiez, le voici. Le songe arrive dans l’œuvre de Mme de Noailles comme le soir dans la nature, enveloppant d’une ombre douce les couleurs, d’une ombre qui est venue à pas de loup et qui tranquillise le paysage.

La poésie de Mme de Noailles a tourné ainsi, de l’exaltation vers la