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par an à Libreville), imprègnent la végétation basse d’une perpétuelle humidité ; même dans les clairières, le ciel se cache derrière des nuages, les observations astronomiques sont très malaisées, la lumière du soleil est amortie comme celle d’un clair de lune. Tel est l’obstacle, proche du littoral, auquel se sont heurtés les premiers Européens qui ont voulu pénétrer dans l’intérieur du Gabon ; les indigènes de cette forêt sont des chasseurs, armés d’arcs et de flèches, d’une rusticité presque simiesque, anthropophages quand passent auprès d’eux des hommes, gibier de choix.

Brazza, depuis 1875, a rompu le charme : franchissant la zone désespérément touffue, il est arrivé jusqu’au réseau navigable du Congo, touchant le fond de cette assiette à bords relevés, à laquelle on compare assez exactement l’Afrique centrale. Suivant le mouvement qu’il lui avait imprimé, le Gabon a grandi ; des explorations ont réuni au domaine français, défini par le Congrès de Berlin de 1884-1885 en face du Congo belge, une partie considérable du bassin congolais, puis le versant septentrional, dont le Chari et le Logone entraînent les eaux vers le lac Tchad ; croissant ainsi du côté du Nord, l’Afrique Equatoriale Française, au delà de la forêt dense, s’est étendue sur des territoires à forêts-galeries, puis sur des savanes soudaniennes ; elle a fini par atteindre les steppes à mimosées qui précèdent le Soudan du côté du Sahara ; par là, ses acquisitions dernières l’apparentent à l’Afrique Occidentale ; ses administrateurs ont découvert, dans les pays bas du Chari, la grande faune des pachydermes et des ruminans ; ils ont combattu des guerriers islamisés, exploiteurs de nègres esclaves ; sur ces espaces libres où l’on respire plus librement après l’oppression de la forêt, ils ont trouvé des sociétés de cultivateurs, d’éleveurs indigènes, empressés à saluer l’aurore de la paix française.

Mais, plus encore ici qu’en Afrique Occidentale, les accès sont malaisés : pour atteindre le Soudan oriental, il faut chercher, loin au Sud, l’amorce des voies navigables du Congo intérieur, remonter ces cours d’eau jusqu’au seuil qui les sépare du Chari, descendre par ce dernier fleuve vers le Tchad, partir enfin, des stations de cette route, pour d’interminables étapes au Nord, vers le Kanem, le Ouadai, le Borkou. Une politique mieux avertie, en 1885, eût sauvé les Compagnies françaises des bouches du Niger, que nos défaillances laissèrent absorber par leurs concurrentes