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ce mouvement d’osmose est sensible aussi dans les sociétés indigènes ; ainsi la bourgeoisie musulmane de Tlemcen a essaimé dans le monde commercial des souks marocains. La paix française confère aux indigènes aussi bien qu’aux Européens une faculté supérieure de travail ; elle fait naître des valeurs, qui sollicitent les échanges. Il est aisé d’exprimer ses bienfaits en peu de chiffres ; avant 1830, le commerce de l’Algérie montait à une dizaine de millions de francs ; à la veille du protectorat (1880), celui de la Tunisie n’atteignait pas 12 millions ; en 1912, le total pour ces deux colonies est supérieur à 1 300 millions ; encore ce nombre magnifique ne peut-il enregistrer la hausse de la consommation locale. L’Algérie et la Tunisie, dès maintenant, s’inquiètent de trouver des débouchés ; demain, il en sera de même du Maroc régénéré ; la Berbérie française, d’ores et déjà, a pris rang sur la liste des puissances mondiales.


Possession plus récente de la France, notre Afrique Occidentale ne connaît pas encore une aussi brillante fortune ; mais quant à son étendue territoriale, elle s’est développée beaucoup plus vite. A l’origine, Faidherbe n’était gouverneur que d’un petit Sénégal, à peine supérieur à la colonie fondée par Richelieu, peut-être même moins riche, car on n’y pratiquait plus la traite des nègres, condamnée par le Congrès de Vienne en 1815 ; le commerce de la Comme était le plus actif ; des Bordelais venaient d’inaugurer la culture en grand de l’arachide, qui a transfiguré depuis tout le bas Sénégal ; mais nos traitans, sur le fleuve, étaient toujours contraints de payer aux chefs maures d’humiliantes « coutumes. » Faidherbe renversa les rôles, et, désormais, les indigènes furent nos hôtes dans les anciennes escales, devenues des postes militaires. Médine était alors le plus avancé dans l’Est ; en 1857, cette pauvre citadelle fut attaquée par les hordes fanatiques d’El Hadj Omar ; une crue précoce du Sénégal permit a Faidherbe, prévenu, de faire monter des renforts, et le marabout fut rejeté vers le Niger ; de ce jour date, parmi les indigènes, le prestige des Français.

La conquête française de l’Afrique Occidentale, reprise non sans saccades après la guerre, depuis 1879, est une sorte d’amende honorable acquittée en expiation des méfaits de la traite ; elle tend à l’affranchissement, à la résurrection des races noires, si longtemps décimées. Lorsque les Européens, au cours