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que je pars. Je sais bien que, si on me veut, on me retrouvera partout. Je n’aurais rien à craindre en France que je n’y resterais pas. C’était d’abord une répugnance invincible ; c’est, après tout ce que j’ai fait et dit, une affaire d’honneur.

— Où veux-tu aller ?

— Je ne le sais pas encore.

— Que feras-tu à l’étranger ?

— Que ferais-je ici ? Une triste figure !

— S’en aller ainsi à l’aventure, ce n’est pas raisonnable !

— C’est possible ; mais, à tout prix, je veux m’ôter de là. Tout ce que je vois me dégoûte.

Ce court dialogue, sans avoir la brutalité de celui qui au même moment eut lieu par correspondance entre Fouché et Carnot, trahit de même la différence des caractères. Ce qui, pour l’un des personnages, était une affaire d’intérêt, était pour l’autre une affaire d’honneur. Souligner ce trait, c’est marquer en quel esprit Thibaudeau a écrit ses Mémoires. On a dit avec raison qu’ils sont les confidences d’un honnête homme à la postérité.


Les Mémoires de Théodore de Lameth[1] n’ont pas le même caractère. La narration en est un peu sèche, l’auteur paraissant s’être moins préoccupé de l’enrichir de ces anecdotes et de ces portraits qui rendent particulièrement intéressans ce genre d’écrits, que de nous transmettre les confidences qu’en des circonstances graves, il a reçues des personnages qu’au cours d’une existence quasi centenaire, il a connus et fréquentés.

M. Eugène Welvert, à qui nous devons la publication de ces Mémoires, fait justement remarquer que si l’on en mesurait l’intérêt à la place que Théodore de Lameth a tenue dans l’histoire, ils n’auraient pas mérité d’être publiés. Leur auteur, en effet, n’a jamais été un homme de premier plan ni dans l’armée, ni à l’Assemblée législative dont il fut membre et pas davantage dans l’émigration où du reste il n’a fait que passer. Mais il porte un nom qui maintes fois a retenti sur le théâtre de la Révolution. Petit-fils ou neveu de quatre maréchaux de France, il a servi pendant vingt-deux ans dans l’ancienne armée, commandé un régiment comme ses trois frères ; comme eux il a fait la

  1. 1 vol., Paris, Fontemoing et Cie, éditeurs.