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qu’on a données autrefois à l’Empereur contre toi se sont dissipées. Il me semble l’avoir bien convaincu qu’il n’y a pas une Préfecture plus difficile et mieux administrée que celle des Bouches-du-Rhône. Je désire que tes services soient récompensés ; je n’aurai pas du moins à me reprocher de ne pas les avoir fait connaître. Aussi longtemps que l’Empereur me permettra de le voir et de lui exprimer avec franchise et vérité mes sentimens et mes opinions, je me ferai un devoir de lui faire connaître ceux qui le servent le mieux. »

Il n’y aurait aucune raison de douter de la sincérité de ce langage s’il n’était en contradiction formelle avec celui de Montalivet, et le doute subsiste sur le point de savoir si Fouché ne se vantait pas en déclarant entièrement détruites les préventions impériales dont Montalivet avait recueilli les preuves. En tout cas, l’incident n’autorise pas à prétendre que Thibaudeau méprisait son ancien collègue, tout en se laissant conduire par lui. Sans doute le préfet de Marseille n’avait pas à se reprocher les mêmes crimes que Fouché ; mais, en plusieurs circonstances, il avait tenu la même conduite que lui ; ils avaient voté l’un et l’autre la mort de Louis XVI, sans appel ni sursis ; ensemble ils avaient compris la nécessité d’en finir avec la Terreur et avaient contribué à y mettre un terme ; tous deux enfin s’étaient ralliés au Consulat d’abord, à l’Empire ensuite. Thibaudeau aurait-il été fondé à reprocher à Fouché d’avoir fait ce qu’il avait fait lui-même, et, pour ce motif, à le mépriser ?

Il est vrai qu’un peu plus tard, ils cessèrent de marcher dans la même voie. En 4815, avant même que l’Empereur eût abdiqué, Fouché prenait fait et cause pour les Bourbons, tandis que Thibaudeau était résolu à ne pas les servir. L’ayant déclaré à Fouché en allant lui demander des passeports pour lui et pour son fils à l’effet de quitter Paris, le nouveau serviteur de la Royauté lui dit :

— Fais bien tes réflexions !

— Elles sont toutes faites, affirma Thibaudeau.

Et comme Fouché, pour l’empêcher de partir, se disait résolu à exiger des garanties pour les personnes et à s’opposer à toute vengeance ou réaction, il répliqua :

— Je te crois, mais tu n’es pas le plus fort ; tu n’empêcheras rien. D’ailleurs, ce ne sont pas les menaces des proclamations royales qui m’effraient. Ce n’est point pour ma sûreté personnelle