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bien peu, nous pouvons nous la figurer ; nous pouvons surtout y mesurer la très grande place qu’il y a tenue durant un quart de siècle et où il nous apparaît comme un héros de fidélité, n’attendant de son dévouement sans bornes d’autre récompense que celle qu’il trouve dans la satisfaction que donne aux belles âmes l’accomplissement de ce qu’elles considèrent comme un devoir.


Les Mémoires que je viens d’analyser ne sont pas les seuls qui aient vu le jour depuis le commencement de cette année ; il y faut ajouter ceux de Théodore de Lameth et ceux de l’ancien constitutionnel Thibaudeau[1]. Ces personnages ne sont pas des inconnus pour nous, Thibaudeau surtout. Thiers a dit de lui qu’il était un révolutionnaire morose qui, sans aimer Bonaparte, le préférait aux Bourbons, et que, d’ailleurs, il n’aimait personne. Mais ce jugement ne paraît pas mérité. Les défenseurs de Thibaudeau rendent plus de justice au dévouement qu’il témoigna au Premier Consul et dont il continua à prodiguer ses témoignages à l’Empereur, bien que celui-ci, à partir du jour où il eut pris la couronne, l’ait tenu dans une sorte de disgrâce, et l’ait enlevé en 1803 au Conseil d’Etat pour l’exiler à la préfecture de Marseille où il resta jusqu’en 1814.

De ses relations avec Bonaparte, Thibaudeau nous avait déjà parlé dans de précédens écrits que résume, dans sa première partie celui qui est maintenant sous nos yeux. Il nous initie en outre, — et c’est là, son principal objet, — à l’existence de l’auteur pendant la durée de l’Empire, sous la première Restauration et au retour de l’île d’Elbe. Après la chute définitive de Napoléon, Thibaudeau, qui l’avait servi pendant les Cent Jours, vit se terminer sa carrière et on n’entendit plus parler de lui, si ce n’est par ses écrits, jusqu’à l’heure où Napoléon III, à son avènement, le désigna pour siéger dans le Sénat impérial, à la recommandation de l’ex-roi Jérôme. Si l’on veut se souvenir qu’il était né en 1765, et qu’il mourut en 1854, deux ans après avoir été nommé sénateur, on admettra que peu d’hommes, parmi ses contemporains, ont été au même degré que lui témoins d’une longue suite d’événemens. Il vit le règne de Louis XVI, la Révolution, le Consulat, l’Empire, le retour des Bourbons, le

  1. Paris, 1913, Plon-Nourrit.