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derrière lui. Mais celui-ci ne le rejoignit pas à l’endroit où ils devaient se retrouver. Pensant qu’il était arrêté et redoutant de l’être lui-même, Montbel renonça à continuer sa route vers Paris. Après avoir trouvé pour quelques heures un refuge dans une maison d’aliénés que dirigeait un de ses amis, le fameux docteur Esquirol, il put se diriger vers la Suisse, muni d’un passeport. Le 11 août, il franchissait la frontière et arrivait dans la soirée à Neuchâtel : il était sauvé.

Il ne savait encore vers quel lieu il se dirigerait. Séparé de sa famille, ne possédant que de maigres ressources, et ne pouvant douter qu’elles seraient rapidement épuisées, il ne savait qu’une chose, c’est que l’accès de la France lui était interdit pour longtemps, peut-être pour toujours. Il était tenu dès lors de se chercher une retraite où il pourrait vivre pauvre, oublié, inutile à son pays qu’il chérissait, mais du moins tranquille en gagnant au jour le jour par son travail de quoi pourvoir à son existence.

Après quelques jours de réflexion, il décida d’aller s’installer à Milan. Sa place déjà retenue à la diligence, et au moment de se mettre en route pour Fribourg, première étape de son voyage, le hasard lui fit rencontrer à l’improviste un jeune Anglais, son cousin par alliance, qui se préparait à partir pour Vienne, où l’attendait son frère, capitaine de cavalerie au service de l’Autriche.

— Pourquoi ne viendriez-vous pas avec moi à Vienne ? lui demanda son parent.

— Mais j’ai pris mon passeport pour Milan.

— Milan applaudit à la Révolution de France ; vous y serez froissé par des opinions et des sentimens contraires aux vôtres. A Vienne, au contraire, vous trouverez les sympathies de la population et l’appui du Gouvernement.

Le conseil était sage, et, sur l’heure, le proscrit s’y conforma. Toutefois, comme, depuis sa fuite, il voyageait sous le nom de Capdeville et comme il ne voulait pas surprendre, sous ce nom qui n’était pas le sien, l’hospitalité qu’il allait demander à la capitale autrichienne, il eut soin, avant de monter en voiture, de faire écrire au chancelier impérial, le prince de Metternich, pour lui annoncer son arrivée. Bien lui en prit, car c’est à cette précaution qu’il dut, une fois à Vienne, les relations et les agrémens qui adoucirent les rigueurs de son exil.