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Il est remarquable que les malheurs qui les avaient frappés n’altérèrent pas la sérénité d’âme de la narratrice ou que, tout au moins, sans cesser de pleurer ses morts, elle avait recouvré la paix intérieure et conservé sa fraicheur de cœur. Elle avait gardé aussi celle de sa mémoire et nous en trouvons la preuve dans la multiplicité des détails de toutes sortes dont elle embellit sa narration. On peut même dire qu’à cinquante ans, — c’est l’âge où elle prit la plume, — elle n’avait rien oublié. C’est ainsi qu’elle nous raconte sa présentation à la reine Marie-Antoinette, sa première rencontre à Bordeaux avec Mme Tallien à laquelle elle dut d’échapper à la guillotine, un peu plus tard sa présentation à Bonaparte et comment son mari fut conduit, après la proclamation de l’Empire, à accepter des fonctions officielles.

On pourrait citer encore beaucoup d’autres incidens qu’elle fait revivre avec un art de mise en scène que peu de mémorialistes ont égalé. Il y a là des traits tout à fait charmans, comme, par exemple, le passage de l’Empereur dans le département de la Gironde et l’audience qu’il accorde à la marquise de la Tour du Pin en même temps qu’à une soixantaine de femmes admises comme elle aux honneurs d’une présentation. Ces honneurs, elle ne les avait pas sollicités. C’est Napoléon qui, apprenant la présence dans le pays d’une ancienne dame du Palais de Marie-Antoinette, la fit inviter à venir le voir. Une telle invitation équivalait à un ordre et la marquise ne la déclina pas. Elle l’avait reçue à cinq heures et la réception était fixée à huit heures. C’était à peine le temps d’improviser une toilette, tâche d’autant plus difficile que la Cour était en deuil du roi de Danemark, et que Mme de la Tour du Pin n’avait pas de robe noire... Ce n’était pas pour l’embarrasser. Elle en avait une en satin gris ; elle y mit quelques ornemens noirs, un bon coiffeur arrangea des rubans noirs. dans ses cheveux et « cela, dit-elle, me sembla aller fort bien pour une femme de trente-huit ans qui, soit dit sans vanité, n’avait pas l’air d’en avoir trente. »

Elle arrive ainsi au Palais impérial où déjà se trouvaient réunies toutes les personnes que l’Empereur devait recevoir. Elle est accueillie par un chambellan qui lui assigne une place dans cet élégant escadron en lui recommandant, ainsi qu’aux autres élues, de ne se déplacer sous aucun prétexte, sans quoi