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Au décès de son père, mort sur l’échafaud en 1794, il prend le titre de comte de la Tour du Pin et c’est sous ce nom qu’on le voit dès le début de la Révolution se dévouer aux Bourbons, au péril de sa vie, émigrer après avoir couru les plus grands dangers, passer à Londres, s’embarquer pour l’Amérique, y vivre en fermier pendant plusieurs années, secondé par son admirable femme, revenir en France sous le Consulat, se rallier au gouvernement impérial, lui rester fidèle jusqu’en 1814, revenir alors au parti royaliste et rendre des services que Louis XVIII récompensa en le nommant pair de France en 1815 et en le créant marquis en 1820.

La Révolution de 1830 le trouve ministre de France à Turin ; il donne aussitôt sa démission et se retire dans ses terres où il vit en famille jusqu’au jour où son fils, Aymar de la Tour du Pin, étant condamné pour avoir participé aux tentatives de la Duchesse de Berry en Vendée, il prend le parti de s’expatrier et finit par s’installer à Lausanne où il meurt en 1837, laissant inconsolable la noble femme qui, cinquante ans plus tôt, avait uni sa destinée à la sienne. Elle ne devait pas cesser de le pleurer et c’était justice, car il avait été pour elle, au milieu de tant de périls courus ensemble, dans les jours de détresse comme dans les jours heureux, un compagnon fidèle et tendre, la soutenant à travers les plus cruelles épreuves, s’attachant à en alléger pour elle le fardeau et méritant en un mot les hommages qu’elle lui prodigue dans le récit des événemens de leur vie commune. En lisant ces pages si vivantes et d’un attrait si puissant, on devine qu’elle n’a jamais eu qu’à se louer d’avoir préféré à tous les prétendans à sa main celui dont elle avait accepté le nom.

Nous ne pouvons la suivre, on le comprendra, à travers les péripéties de sa longue existence, que ses récits nous font connaître et qui prennent sous sa plume un caractère et une physionomie qu’une analyse ne saurait rendre. Aucune douleur ne fut épargnée au ménage. Sur six enfans auxquels il donna le jour, cinq moururent avant leurs parens, et l’un d’eux tué en duel dans des circonstances particulièrement tragiques. Un seul survécut et c’est pour lui que la marquise de la Tour du Pin écrivit ses Mémoires, afin de lui apprendre ce qu’avaient été son père et sa mère et de lui tracer la voie dans laquelle il devait marcher pour rester digne d’eux.