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lorsqu’elle en avait quinze. Malgré cette différence d’âge, il l’avait prise en goût et causait fréquemment avec elle. Il la trouvait séduisante au plus haut degré, et à ce point qu’il avait dit un jour à l’archevêque de Narbonne :

— Si j’avais le malheur de perdre Mme la maréchale de Biron, je prierais Mlle Dillon de prendre mon nom et de me permettre de déposer ma fortune à ses pieds.

Ce malheur, dont il était tout prêt à se consoler, ne l’atteignit pas. Sa femme, de qui il vivait séparé depuis un demi-siècle, lui survécut. Le contraire eût mieux valu pour elle, puisque plus tard elle mourut sur l’échafaud, avec sa nièce, la duchesse de Biron. Il est douteux d’ailleurs qu’en dépit des usages du temps qui autorisaient des mariages mal assortis, Henriette-Lucie eût consenti à épouser, bien qu’il fût chargé d’honneurs et de gloire, ce vieillard plus qu’octogénaire qui n’aurait pu mettre dans la corbeille de noces que son nom, sa fortune et des lauriers fanés.

Elle s’était déjà tracé un tout autre idéal et en avait entrevu la réalisation dans un jeune gentilhomme que le hasard avait mis sur sa route et dont le souvenir la disposait à le préférer à des partis plus brillans, tels, par exemple, que le marquis Adrien de Laval. Celui-ci, ayant épousé sa cousine, Mlle de Luxembourg, elle ne le regretta qu’à cause du nom. Elle écarta ensuite le vicomte de Fleury dont la réputation était mauvaise et le comte de l’Aigle, quoiqu’il fût un très bon sujet. Comme elle le dit, les mariages sont écrits dans le ciel. Elle avait en tête le comte de Gouvernet, le futur marquis de la Tour du Pin. « On en disait du mal. Je ne l’avais jamais vu. Je savais qu’il était petit et laid, qu’il avait contracté des dettes, joué, etc., toutes choses qui m’auraient à l’instant éloigné de tout autre. Et pourtant ma résolution était prise. »

Elle était en effet résolue à n’épouser que lui. Il avait onze ans de plus qu’elle. Il avait fait avec honneur sa carrière dans l’armée, et, après avoir servi pendant les trois dernières années de la guerre d’Amérique sous les ordres du marquis de Bouille, gouverneur des Antilles, il venait d’être promu au grade de colonel en second du Royal-Comtois-Infanterie. Un peu plus tard, il devait être nommé colonel du régiment Royal-des-Vaisseaux. Les Mémoires de sa femme et l’introduction qui les précède nous font connaître les principaux événemens de sa vie.