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pas sans agrémens pour la future marquise de la Tour du Pin. Le souvenir qu’elle en avait gardé, celui des personnages rencontrés au hasard des chemins, celui de ses instituteurs et des amis de sa famille, celui enfin de la reine Marie-Antoinette et des dames de la Cour revivent dans ses Mémoires en mille traits instructifs et piquans, qui n’en sont point la moindre parure.

Elle grandissait ainsi à travers des circonstances qui contribuaient à la formation de son esprit et de son cœur, au développement de sa raison et des brillantes qualités dont le germe était en elle. A seize ans, elle nous apparait comme une délicieuse adolescente dont la grâce corporelle égalait le charme moral. Ce qu’elle était à cette époque, elle nous le dit en traçant d’elle-même un portrait qui mérite d’être reproduit :

« Une forêt de cheveux blond cendré était ce que j’avais de plus beau. J’avais de petits yeux, très peu de cils, une petite vérole très grave dont je fus atteinte à quatre ans les ayant détruits en partie ; des sourcils blonds clairsemés, un grand front, un nez que l’on disait être grec, mais qui était long et trop gros du bout. Ce qui ornait le mieux mon visage, c’était la bouche, avec des lèvres découpées à l’antique, d’une grande fraîcheur et de belles dents. Je les conserve encore intactes à soixante et onze ans. On disait que ma physionomie était agréable, et que j’avais un sourire gracieux, et, malgré tout cela, le tout ensemble pouvait être trouvé laid. Je dois croire que beaucoup de personnes avaient cette impression, puisque moi-même je considérais comme affreuses plusieurs femmes qui passaient pour me ressembler. Cependant, une grande et belle taille, un teint clair, transparent, d’un vif éclat, me donnaient une supériorité marquée dans une réunion, surtout au jour, et il est certain que j’effaçais les autres femmes douées en apparence d’avantages bien supérieurs. »

Comme pour se faire pardonner de nous avoir décrit ainsi sa personne, elle a soin d’ajouter qu’elle n’eut jamais la moindre prétention à se trouver la plus belle et qu’elle a toujours ignoré ce sentiment de basse jalousie dont tant de femmes sont tourmentées. Ce n’est pas qu’elle fût indifférente à ses avantages et qu’elle ne les connût pas ; mais, de bonne heure, elle s’était fait une loi de louer ceux des autres et toujours avec une entière bonne foi. Elle suivait en cela le conseil que lui avait donné un jour le vieux maréchal de Biron, âgé de quatre-vingt-cinq ans