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Je savais que Marguerite était d’une discrétion à toute épreuve ; elle aurait mieux aimé mourir que de me compromettre par un mot indiscret. C’est elle qui m’a fait apprécier la première l’avantage d’une amie sûre. Que de fois, depuis, ai-je mis dans ma pensée les personnes les plus élevées du monde d’un côté de la balance, et ma bonne Marguerite de l’autre, et que de fois elle a emporté le poids ! »

L’hommage qu’elle rendait ainsi à la créature dévouée qui resta auprès d’elle, après la mort de sa mère, fait comprendre pourquoi elle ne voulut jamais s’en séparer, et, lorsqu’elle y eut été contrainte, s’empressa de la reprendre dès que les circonstances le lui permirent. On retrouve Marguerite à ses côtés durant de longues années, et la mort de cette brave fille fut un des grands chagrins de sa vie.

On remarquera, en tout ceci, que le père de notre héroïne apparaît peu. C’est qu’en effet, gouverneur d’une des colonies d’Amérique qui appartenaient encore à la France, ses fonctions le retenaient loin de sa famille. Il ne revint à Paris qu’en 1784, c’est-à-dire deux ans après la mort de sa femme. Il avait alors trente-trois ans, et était propriétaire, nous l’avons dit, d’un des plus beaux régimens de l’armée. Peu de temps après son retour, il songea à se remarier, désireux d’avoir un fils qui perpétuerait son nom. Il épousa une jeune et belle veuve qu’il avait connue à la Martinique avant de rentrer en France. Ce mariage eut lieu, malgré Mme de Rothe, mère de sa première femme et grand’mère d’Henriette-Lucie. N’ayant pu l’empêcher, la vieille aïeule s’opposa à ce que sa petite-fille fût présentée à la nouvelle épouse et déclara que, si elle sortait de la maison, ne fût-ce que pendant une heure pour aller voir Mme Dillon, elle n’y rentrerait jamais. Dans l’intérêt de l’enfant, Arthur Dillon se résigna à subir cette loi. La petite Lucie ne vit sa belle-mère une seule fois que deux ans plus tard, au moment où celle-ci allait s’embarquer avec son mari renvoyé aux colonies comme gouverneur.

A la faveur des détails qui précèdent, on peut voir ce que furent l’enfance et la jeunesse d’Henriette-Lucie, entre sa grand’mère et son oncle, l’archevêque de Narbonne. Pour en compléter le tableau, il faut ajouter qu’à plusieurs reprises, elle suivit le prélat dans ses divers déplacemens, lorsque, par exemple, il allait en Languedoc présider les assemblées du clergé ou lorsqu’il résidait à Versailles. Ces déplacemens et ces séjours n’allaient