Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/619

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exister pour d’autres femmes du milieu dans lequel elle vivait. Elle en désigne plusieurs en ajoutant qu’elles se distinguaient « par l’audace avec laquelle elles affichaient leurs amours. » « Ces intrigues, dit-elle encore, étaient connues presque aussitôt que formées, et, quand elles étaient durables, elles acquéraient une sorte de considération.» Elle nous apprend aussi que, dans le monde, ces héroïnes de scandale étaient surnommées « les princesses combinées. »

Elle n’accuse pas que les femmes. Dans ce dossier des immoralités du temps, les hommes ne tiennent pas une moindre place. Il est tel brillant gentilhomme, marié à une femme délicieuse, qui, non content de l’avoir délaissée, s’affiche publiquement avec une actrice de la Comédie-Française, Mlle Raucourt, qui le ruine. La mémorialiste nous montre ce faux ménage à Longchamp, dans un équipage à la livrée de l’amant, tout pareil par conséquent à celui de la femme légitime et les deux voitures se croisant à tout instant sur la brillante promenade.

Ces sortes de liaisons étaient fréquentes. La marquise constate, non sans tristesse, « qu’on en riait, comme d’une chose toute simple, » et souligne sa constatation en ces termes : « Lorsque la société est assez corrompue pour que tout paraisse naturel et qu’on ne se choque plus de rien, comment s’étonner des excès auxquels les basses classes, ayant de si mauvais exemples devant les yeux, ont pu se porter. Le peuple n’a pas de nuances dans ses sentimens, et dès qu’on lui donne sujet à mépriser et à haïr ce qui est au-dessus de lui, c’est sans se refréner qu’il se livre à ses impressions. »

Le plus remarquable en tout ceci, c’est qu’au contact des perversités qu’elle nous dévoile, sans chercher à les atténuer et moins encore à les excuser, Henriette-Lucie ne se soit pas pervertie. Elle eût été d’autant plus excusable d’en subir l’influence qu’ayant perdu sa mère au moment où elle atteignit sa douzième année, elle était restée aux mains de sa grand’mère maternelle, femme irascible, violente et vindicative, incapable de lui inspirer cette affection filiale qui rend facile aux enfans l’accomplissement du devoir et que ce n’est pas auprès de son oncle, le trop brillant archevêque de Narbonne, qu’elle trouvait des enseignemens salutaires. Le milieu où elle avait grandi ne pouvait être une école de moralisation et la mort de sa mère ne l’améliora pas. En parlant de ce douloureux événement, elle écrit les