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avec elle, ils n’ont pas devinée sous sa bonne grâce et sa belle humeur, mais dont, nous, ses lecteurs, nous bénéficions. C’est là ce qui donne à ses Mémoires tant d’attrait et en rend la lecture particulièrement agréable.

La marquise de la Tour du Pin avait cinquante ans lorsque, le 1er janvier 1820, elle entreprit son ouvrage. Elle en fut occupée d’abord pendant un certain temps ; puis, elle l’interrompit et ne s’y remit qu’au mois de février 1843, alors qu’elle venait d’atteindre sa soixante-treizième année. Il était donc loin d’être achevé lorsqu’elle mourut le 2 avril 1853. Bien qu’elle y eût travaillé pendant dix ans, elle n’avait pu le conduire que jusqu’à la date fameuse du retour de l’ile d’Elbe. Il s’en fallait qu’à cette date, sa vie touchât à son terme ; elle devait vivre longtemps encore et toujours aux premières loges, en situation par conséquent de ne rien perdre des ? événemens qui se déroulèrent depuis les débuts de la seconde Restauration jusqu’à la veille de l’établissement du second Empire.

Il est certes regrettable que ces récits aient été interrompus trop tôt et que, pour connaître les trente-huit dernières années de la vie de notre marquise, nous n’ayons que de trop rares souvenirs insérés par son arrière-petit-fils dans son introduction. Tels qu’ils sont, cependant, ces Mémoires, qui de la Cour de Louis XVI nous conduisent, à travers des péripéties sans nombre, à celle de Napoléon, en passant par la Révolution et la Terreur, constituent un document historique dont un rapide résumé permettra d’apprécier l’importance en même temps qu’il suggérera le désir de lire un ouvrage où se trouvent rappelés, par une femme richement douée des qualités du cœur et de l’esprit, les événemens les plus sensationnels de l’histoire contemporaine.

Henriette-Lucie Dillon était née à Paris, rue du Bac, le 25 février 1770, du mariage du colonel Arthur Dillon et de Thérèse Lucy de Rothe. Les Dillon étaient originaires d’Irlande et pairs de ce royaume. Après la Révolution de 1688, ils avaient quitté l’Angleterre pour se réfugier en France et y prendre du service. Depuis cette époque, on les voyait commander le régiment qui portait leur nom et se le transmettre de père en fils. C’est ainsi que le père d’Henriette-Lucie était le sixième propriétaire de ce régiment lorsque sa fille vint au monde. Comme, d’autre part, la comtesse Dillon remplissait auprès de la reine Marie-Antoinette les fonctions de dame du Palais, l’enfant se trouva, dès sa naissance,