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ne méritent pas cette critique. On formerait un gros volume avec les rectifications qui résulteraient d’un contrôle consciencieux de tant de pages auxquelles on peut trop souvent reprocher d’avoir été écrites à la légère ou dans un intérêt purement personnel. Si, par exemple, j’ouvre les Mémoires de Marbot, il me suffira de me soustraire à l’attrait romanesque qu’ils excitent en moi pour reconnaître que, pour une part de vérité, ils ont une plus large part de contes invraisemblables. Dans ceux de Gouvion-Saint-Cyr, je relève des erreurs, je n’ose dire des mensonges qui sont dus uniquement à la haine qu’il nourrissait à tort ou à raison contre le malheureux Pichegru, et qui ne se manifesta qu’après la trahison de celui-ci. Dans ceux de Dumouriez, je découvre la volonté d’expliquer et de justifier le crime de lèse-patrie dont il se rendit coupable en passant à l’ennemi et qui a flétri sa mémoire. Lorsque le marquis de Bouille nous raconte son séjour à la Cour de Suède, ses inexactitudes résultant de sa légèreté et de sa crédulité me crèvent les yeux et je tombe des nues en le voyant émettre contre la famille royale de ce pays, et par contre-coup contre Marie-Antoinette, des affirmations calomnieuses dont, depuis longtemps, les historiens suédois ont fait justice.

Je suis déçu de même en lisant ceux du prince de Metternich. Il écrivait, en 1819, à la princesse de Liéven : « On trouvera après ma mort des Mémoires d’un bien grand intérêt sur cet homme (Napoléon) et sur les événemens de son temps. Bien des faits seront éclaircis, bien des doutes levés, bien des erreurs rectifiées. » Les Mémoires ont paru et ne tiennent pas les promesses contenues dans cette lettre. Quand je regarde à ceux de Guizot ou à ceux du chancelier Pasquier, j’y vois, en dépit du talent et d’une loyauté incontestable, un souci de justification de leurs actes politiques, qui me met en défiance. Comme ceux qu’a confectionnés la main des hommes, les Mémoires écrits par des femmes sont fréquemment sujets à caution. Ceux de la duchesse d’Abrantès ne sont qu’un roman ; elle fait état de lettres apocryphes et souvent les faits qu’elle présente sont inventés à plaisir ; c’est un dévergondage de fausseté. Les Mé- moires de Mme de Rémusat n’ont été publiés qu’après avoir subi des mutilations, imposées par les scrupules les plus honorables, mais qui n’ont pu être pratiquées qu’aux dépens de la vérité. Dans les Mémoires de la duchesse de Gontaut, se trahit à tout