Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/613

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
À TRAVERS DE RÉCENS MÉMOIRES

Je me souviens d’avoir résidé, voici quelques années, dans un château normand dont le propriétaire, un bibliophile des plus réputés, se flattait de posséder la collection complète des Mémoires publiés depuis la Révolution jusqu’au jour où il me faisait les honneurs de sa bibliothèque. Dans la longue galerie où des milliers de livres, pour la plupart somptueusement reliés, éveillaient ma curiosité d’historien, cette collection tenait une place considérable. En lisant les titres, gravés en lettres d’or sur le maroquin, j’étais surpris de relever parmi des noms éclatans d’autres noms presque inconnus ou tout au moins oubliés, tant il est vrai que le besoin de se raconter, de raconter ce qu’on a vu, ce qu’on a fait, sévit parmi les hommes les plus obscurs comme parmi les plus célèbres, pour peu qu’ils aient quelque chose à révéler. Il y avait là, sous cette forme de Mémoires, tout un siècle d’histoire contemporaine et je me disais que s’il nous était possible, étant données les méthodes d’aujourd’hui, de nous contenter de la documentation que m’offraient tant d’ouvrages réunis avec un soin quasi pieux, tous les efforts auxquels nous nous livrons pour restituer au passé sa véritable physionomie et pour rectifier, en le racontant à nouveau, les erreurs et les mensonges dont ne se sont pas fait faute plusieurs de nos devanciers, que ces efforts, dis-je, seraient inutiles.

Il semble en effet que, racontés par ceux qui en ont été les témoins ou qui en ont connu les acteurs, les événemens doivent trouver, dans les récits qu’ils en ont faits, des garanties d’exactitude et de vérité que ne peuvent offrir au même degré les historiens qui les reconstituent sans les avoir vus, sur la foi de documens qui ne sont pas toujours décisifs et qui souvent