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sentir. Aussi, les campagnes sont-elles de plus en plus désertées pour les villes où le nombre des ouvriers s’accroît, dépassant souvent les besoins de l’industrie. D’où : affreuse misère de ceux qu’on appelle les unskilled workmen, c’est-à-dire les travailleurs n’ayant point de spécialité ; fréquens chômages et, conséquence habituelle de la misère, émigration croissante : 163 000 émigrans en 1882, 303 000 en 1911[1]. Même accroissement en Ecosse : 32 000 émigrans en 1882, 89 000 en 1911. Pendant ce temps, par un contraste curieux, l’émigration décroit en Irlande : 84 000 en 1882, 49 000 en 1911. Il y a là un symptôme très grave qui inquiète, à bon droit, les Anglais.

Est-ce-à-dire que les propriétaires de ces immenses domaines, dont quelques-uns sont de véritables latifundia, comme on disait sous la République Romaine, soient tous de richissimes seigneurs, vivant égoïstement de leurs trop considérables revenus. Il n’en est rien. Sans doute, ceux qui possèdent dans les grandes villes des quartiers entiers, ceux qui touchent comme propriétaires de tréfonds miniers des redevances que sont tenus de leur payer les exploitans, d’autres encore dont les domaines sont très fertiles, jouissent d’une exceptionnelle opulence ; mais les charges de tous les propriétaires fonciers sont immenses : taxes très lourdes, et non moins lourdes dépenses charitables, en entendant ce mot au sens le plus large, que de temps immémorial ils ont pris à leur compte et qui continuent de peser sur eux, bien que le revenu agricole ait diminué. « Nous avons réduit une première fois, me disait le propriétaire d’un grand domaine, puis nous avons réduit une seconde fois, » et en effet il n’habitait plus qu’un tiers de son château. On m’a parlé du propriétaire d’une grande demeure, qui porte un nom historique et qui peut à peine payer le nombre de maids nécessaire pour tenir la maison propre. Le Play, dans la Réforme sociale, a parlé du paysan propriétaire indigent. Attachant une autre signification au mot indigence, on peut dire que le propriétaire indigent existe en Angleterre. Le livre de M. Philippe Millet intitulé : La crise anglaise, publié il y a trois ans, mais encore très instructif et intéressant, contient, en particulier sur ce point, de curieux renseignemens.

Quelle que soit la cause de cette situation, tout le monde est

  1. Voyez, dans l’Économiste français du 28 juin 1913, l’étude de M. Pierre Leroy-Beaulieu.