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remplacé ? Tout le monde étant d’accord que M. Lloyd George n’est plus possible, les uns parlent de sir Edward Grey, que la Conférence de Londres a beaucoup grandi, les autres de M. Winston Churchill, à qui on sait gré de la vigueur avec laquelle il administre le département de l’Amirauté. Mais ce n’est jamais bon signe quand, dans un équipage, on parle de changer le capitaine et quand on n’est pas d’accord sur son remplaçant.

Il semble que, dans cette situation, les Unionistes devraient être pleins d’entrain et de confiance. Je n’ai pas eu l’impression qu’il en fût ainsi, et cela pour plusieurs raisons. La première c’est qu’ils ne se sentent pas conduits par un de ces hommes, devant la supériorité indiscutable duquel tout le monde s’incline. Ni Lord Lansdowne, quels que soient son autorité morale et le respect dont il est entouré, ni M. Balfour, malgré ses remarquables dons d’orateur, ni M. Bonar Law, malgré sa vigueur de parole, ne sont des entraîneurs ou des manieurs d’hommes, comme l’étaient un Beaconsfield, un Salisbury, un Chamberlain. Aussi les Unionistes ne paraissent-ils pas très pressés de prendre le pouvoir. Ils sentent d’ailleurs qu’ils sont mal emmanchés, si j’ose me servir d’une expression aussi familière, dans une question qui a été soulevée par eux, qu’il faudra résoudre et qui les met dans l’alternative ou de se déjuger, ou de poursuivre une campagne dont le succès est plus que douteux ; c’est la question du Tariff Reform.

Lorsque, au lendemain de la fâcheuse guerre du Transvaal, le vieux Chamberlain souleva cette question inopinément et proposa à l’Angleterre de passer du régime libre-échangiste qui avait fait jusque-là sa prospérité à celui de la protection, c’était en partie, on peut le dire sans le calomnier, pour jeter en pâture à la polémique des partis quelque nouvel aliment et détourner l’attention des origines de la fâcheuse guerre du Transvaal. L’Angleterre, à la suite de cette guerre, traversait une période de dépression commerciale ; le moment était donc favorable pour instituer une politique économique nouvelle, en faveur de laquelle, il faut le reconnaître, les argumens ne manquaient pas. Mais, depuis cette époque, les affaires ont repris. Jamais la prospérité économique du pays n’a été plus grande que l’année dernière. Venir, dans ces circonstances, proposer au corps électoral l’abandon du système qui a amené cette prospérité et qui est une tradition datant de 70 ans, pour se jeter dans l’inconnu