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Que le gouvernement perde du terrain, le fait est incontestable. Ce n’est pas cependant, qu’au point de vue parlementaire, il n’ait manœuvré avec une singulière habileté. M. Asquith a déployé une grande souplesse de tacticien pour maintenir l’union dans une majorité, au fond profondément divisée, de Libéraux, ou Radicaux, d’Irlandais et de Travaillistes, et une vigueur persistante pour faire voter dans les délais nécessaires pour qu’ils deviennent lois du pays, malgré la Chambre des Lords, les trois projets de loi qu’il avait dû promettre pour satisfaire chacun de ses trois corps d’armée : le Home Rule, le disestablishment de l’Église anglicane dans le pays de Galles et le Bill abolissant le vote plural. Le Cabinet exerce, avec la guillotine qui raccourcit arbitrairement les discussions, une tyrannie parlementaire véritable. De plus en plus, le parlement n’est rien ; il ne fait qu’obéir. C’est le cabinet qui conduit et qui est tout.

Mais si le parlement obéit et suit, le pays ne suit pas ; des symptômes indiscutables témoignent d’une lassitude croissante. Il y a eu, depuis les dernières élections, vingt-quatre élections partielles. Les Unionistes l’ont emporté seize fois, et là même où ils ont été battus, ils ont toujours obtenu des minorités beaucoup plus fortes qu’aux élections précédentes. De plus, le Ministère a eu certains déboires, et telle mesure sur laquelle il comptait pour affermir sa popularité, en particulier l’Insurance Act, lui crée au contraire aujourd’hui des difficultés. Cette colossale mesure législative qui prétendait comprendre à la fois l’assurance contre la maladie, l’invalidité et le chômage, qui compte 115 articles et qui a été votée avec une telle rapidité que 40 n’ont pas même été discutés, ne donne pas satisfaction aux espérances qu’elle avait fait naître et suscite de nombreux mécontentemens. Un Bill vient d’être déposé pour amender déjà cette loi toute récente, ce qui constate son échec relatif. C’est un peu notre histoire en France et cet exemple montre l’inconvénient des lois sociales votées dans un dessein électoral.

Enfin, l’affaire Marconi a porté une incontestable atteinte au prestige de l’un des principaux membres du Cabinet. Avant cette affaire, on parlait déjà, on parle davantage encore à voix basse, de changemens dans le haut personnel du Cabinet. On dit que M. Asquith, fatigué, soucieux de son avenir, voudrait être nommé Lord Chief Justice à la place du titulaire actuel, contraint à donner sa démission pour raison de santé. Mais par qui serait-il