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en sait gré. Le sentiment monarchique est aussi fort en Angleterre qu’il l’a jamais été. J’en avais eu le sentiment quand j’ai assisté au couronnement du Roi ; je n’en ai point changé.

Quant aux transformations qui au point de vue social et politique se seraient déjà opérées en Angleterre, c’est une autre question. L’idée que ces transformations sont profondes et vont se précipiter rapidement sera nécessairement fortifiée par un livre tout récemment paru sous ce titre : L’Angleterre radicale, qui aura et qui mérite assurément d’avoir beaucoup de lecteurs, car depuis les ouvrages, classiques en quelque sorte, du regretté Boutmy, il n’a rien été publié sur l’Angleterre de plus complet, de plus étudié, de plus solide. L’auteur de ce livre, M. Jacques Bardoux, est bien connu des lecteurs de cette Revue et je me plais à reconnaître les qualités de son livre, rempli de faits, de chiffres, dont je lui emprunterai quelques-uns, d’ingénieux aperçus et de vivans tableaux[1].

Je ne vais cependant pas tout à fait aussi loin que M. Bardoux parce qu’à mon sens il pousse un peu à outrance des conclusions dont le point de départ est généralement juste. Je crois qu’il ne tient pas un compte suffisant de la réaction qui déjà se dessine dans le pays contre la politique radicale et qui pourrait bien aller en s’accentuant rapidement. Sous le bénéfice de ces deux observations, je ne saurais trop recommander la lecture du livre de M. Bardoux à ceux qui désirent recueillir sur la situation politique intérieure de l’Angleterre des renseignemens plus précis et des impressions moins superficielles que celles que je peux donner ici.


Sommairement résumée, mon impression est celle-ci : le gouvernement perd du terrain, l’opposition en gagne ; mais l’entrain et la confiance dans l’opposition ne sont point en proportion du découragement qui règne dans le gouvernement.

  1. Je ferai cependant à M. Bardoux une petite querelle littéraire, c’est d’employer constamment les mots John Bull comme synonymes de : Les Anglais. D’abord c’est une plaisanterie et, répétée, la meilleure plaisanterie fatigue. Ensuite John Bull et les Anglais ce n’est pas la même chose. John Bull est l’Anglais des classes moyennes, solide, de bon sens, un peu lourd et commun. John Bull n’est jamais ni un lettré, ni un grand seigneur. Or M. Jacques Bardoux connaît trop bien l’Angleterre pour ne pas savoir aussi bien que moi que lettrés et grands seigneurs y conservent leur influence.