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l’Angleterre est dans une passe très dangereuse, qu’elle marche à grands pas dans la voie du radicalisme et que la route qu’elle suit pourrait bien la conduire, sans qu’elle s’en aperçoive, jusqu’à une révolution. En tout cas, on affirme qu’elle est à la veille de subir des transformations profondes et rapides qui feront de l’Angleterre nouvelle une Angleterre très différente de celle que nous avons connue.

La première opinion n’a point, à mon sens, de fondement sérieux. L’Angleterre n’est pas dans une situation dangereuse. Le pays travaille ; il est prospère ; donc il n’est pas mécontent, et ce ne sont que les peuples mécontens qui font les révolutions. Il ne se passionne pas au même degré que les hommes politiques pour les questions que ceux-ci débattent entre eux à la Chambre des Communes. Il n’est point agité par un de ses irrésistibles mouvemens d’opinion qui l’ont soulevé autrefois, par exemple à la veille de la réforme électorale de 1832, ou de la révolution économique si heureusement et hardiment opérée par Robert Peel en 1843, et je ne crois pas, comme certains prophètes pessimistes, qu’une vague de fond dormante menace, en arrivant à la surface, de le bouleverser un jour. Sans doute l’Angleterre, depuis la constitution du Labour party, est aux prises avec les difficultés que créent les exigences croissantes des ouvriers, mais comme la France, comme l’Italie, comme tous les pays du monde et moins que l’Allemagne, où ce parti est infiniment plus nombreux. Je ne crois pas plus en Angleterre à une révolution sociale qu’à une révolution politique.

Ce qui, en plus du caractère même du peuple, de ses traditions, de ses institutions monarchiques, demeure un élément de stabilité, c’est, je ne dirai pas la popularité, le mot serait excessif, c’est la considération croissante, dont le Roi et la Reine sont environnés. George V est monté sur le trône dans des circonstances ingrates et difficiles. Du peuple il était peu connu ; une partie de la société anglaise, pas la meilleure, ne lui épargnait pas les railleries. Peu à peu il s’est fait connaître et les railleurs ont dû s’incliner : « He is doing very well. » Il fait très bien, c’est ce que les railleurs ont été obligés de reconnaître et ce que le public commence à dire. Il accomplit, pour sa part, la fameuse parole de Nelson. L’Angleterre attendait de lui qu’il fit son devoir : il le fait tous les jours, partout, avec application, avec conscience, sinon d’une façon brillante, et l’Angleterre lui