Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/586

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’y oppose. Il en résulte qu’elle s’étale, dans certaines régions, d’une façon plus ou moins brutale ou provocante, suivant les lieux et suivant la clientèle à laquelle elle s’adresse. Tous ceux qui ont quelque peu vécu à Londres savent cela, car il est difficile de ne pas s’en apercevoir. Ce qu’on sait moins, c’est que, tous les soirs et tout le long de l’année, quelques femmes attachées à l’Armée du Salut et auxquelles j’ai entendu donner ce beau nom emprunté du reste à la langue catholique : Sister of Mercy (Sœurs de la Miséricorde), entreprennent la tâche difficile de se rendre deux par deux dans les quartiers où la prostitution s’étale et de s’adresser aux malheureuses qui font ce triste métier, en employant un procédé que j’indiquerai, pour les détourner de leur vie de désordre. J’ai obtenu la permission de suivre ce soir deux de ces sœurs dans leur expédition nocturne et cette perspective m’intéresse infiniment.

Mon guide, qui est un major, vient me prendre à l’hôtel, à dix heures. Comme nous avons assez loin à aller, d’abord en omnibus, puis en chemin de fer, puis à pied, je l’interroge, chemin faisant. Il est marié et père de famille. Sa fonction actuelle est celle-ci. Lorsque des officiers et officières, — notre langue ne me fournit pas le mot, — qui sont mariés et ont des enfans, sont expédiés au loin, ils n’emmènent leurs enfans que si ceux-ci ont moins de sept ans ; passé cet âge, ils les laissent à Londres pour leur éducation ; mon officier et sa femme prennent soin de ces enfans et en sont responsables. Lui-même a été autrefois sept ans au Japon, où, m’assure-t-il, l’Armée du Salut fait beaucoup de bien, puis, cinq ans au Transvaal, où sa femme exerçait la fonction de Sister of Mercy. Il paraît qu’elle avait fort à faire. Tout en cheminant et en causant, nous sommes arrivés dans Marylebone, qui me paraît un quartier bourgeois. Rues assez longues ; petites maisons basses, à un étage, comme il y en a tant à Londres. Pas mal de tavernes où il y a un assez grand nombre de femmes de basse ou même de modeste condition. La fréquentation des tavernes par les femmes m’a toujours paru une des plaies de Londres. Je suis d’abord conduit dans un home pour femmes et pour jeunes filles isolées. La maison contient quarante-quatre lits. Elle est petite et il doit y avoir au moins deux lits, sinon plus, par chambre. Je ne puis m’en faire montrer aucune ; elles sont toutes occupées et les femmes sont couchées. Pour dix shillings par semaine dans