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que je fasse un aveu. Montalembert a écrit dans un article qui fit beaucoup de bruit sous l’Empire et pour lequel il fut même poursuivi, si mes souvenirs sont exacts : « Je ferais peu de cas du cœur et de l’esprit de celui qui pénétrerait sans émotion dans... » suivait une magnifique phrase sur le palais du Parlement anglais. Montalembert aurait, je le crains, fait peu de cas de mon cœur et de mon esprit, car c’est sans émotion aucune que j’ai pénétré dans le palais de Westminster. Je suis cependant de ceux qui croient à la nécessité et même à l’utilité des Parlemens, mais, c’est sans doute affaire de temps et de générations différentes : le prestige n’y est plus.

Lord Reay m’avait donné, pour attendre son arrivée, une carte pour le bibliothécaire, M. Edmund Gosse, le critique bien connu, qu’au reste j’avais eu le plaisir de recevoir déjà à Coppet et dont le livre récent, Père et Fils, a été traduit en français. Ce matin, il a appris que l’Académie Française avait décerné à son traducteur le prix Langlois, et il en parait fort satisfait. Ce lettré anglais est un ami de la France. Il me promène dans la majestueuse et silencieuse bibliothèque où il est interdit aux profanes de pénétrer. Il veut bien me montrer deux documens curieux, gardés sous triple serrure : l’un est une lettre écrite de la main même de Charles II, exprimant son désir de faire grâce de la vie à son ami le malheureux Stafford ; l’autre est le propre arrêt de condamnation à mort de Charles Ier, revêtu de la signature de tous les juges, parmi lesquelles se détache, avec une vigueur singulière, celle de Cromwell. Lord Reay me conduit ensuite dans une tribune réservée d’où j’assiste à la séance pendant la durée assez courte de laquelle il a la bonté de me montrer les Lords les plus connus, entre autres lord Cromer et lord Lansdowne.

La Chambre des Lords a la forme d’un grand rectangle, garni à droite et à gauche de bancs de bois rembourrés de cuir rouge. Pas de pupitres qui permettent aux Lords de faire leur correspondance tout en écoutant ou en feignant d’écouter la discussion. Cinq ou six bancs en travers rejoignent une travée à l’autre. Ce sont les Cross Benches où s’assoient les Pairs qui ne veulent être enrégimentés ni parmi les partisans de l’opposition, ni parmi ceux du Gouvernement. C’est là que prennent place les princes du sang quand ils viennent par hasard assister à la séance, car ils ne doivent appartenir à aucun parti. C’est là que