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tient d’une main une épée, de l’autre une lampe. Au-dessous cette inscription : « Par l’épée et par la lumière. » La vendeuse elle-même est jeune, élégante de tournure, pâle, avec de grands yeux dilatés. Je serais tenté d’engager la conversation, mais je crains d’attirer sur elle l’attention malveillante de la foule, qui, en ce moment, n’est pas tendre aux suffragettes ; avant-hier, elle a failli faire un mauvais parti à un petit groupe d’entre elles qui cependant se promenaient innocemment. Elle avait commencé à les maltraiter et il a fallu que la police intervînt pour les protéger. Je me borne donc à acheter un numéro de son journal ; je crois bien avoir été son premier client, car elle n’a rien pu me rendre sur six pence.

En feuilletant le journal des suffragettes, j’apprends quels sont leurs griefs. Depuis qu’elles ont commencé à commettre des crimes de droit commun, elles ont été condamnées à des peines assez sévères. En prison, elles ont inauguré la grève de la faim. On a dû renoncer, devant leur violente résistance, à les nourrir de force. Quand le jeûne absolu auquel elles se condamnent les a complètement exténuées, on les relâche de peur qu’elles ne meurent, mais on ne leur fait pas grâce, et on les prévient qu’aussitôt rétablies, on les incarcérera de nouveau. C’est, en particulier, le cas de Mrs Pankhurst, qui est en ce moment en liberté. Cette manière de procéder, que les suffragettes appellent : « The cat and mouse policy : La politique du chat et de la souris, » indigne fort les suffragettes. Elles accusent le ministre de l’Intérieur, M. Mac Kenna, de cruauté ; d’autres l’accusent de faiblesse. Il est fort embarrassé ; on le serait à moins.

Enfin, j’achève ma journée en allant voir mon ami le colonel Unsworth. C’est un colonel d’une espèce particulière. Il est embrigadé dans l’Armée du Salut. Jamais je ne vais à Londres sans rendre visite à l’Armée du Salut, ce qui fait sourire quelques-uns de mes amis anglais ; mais on connaît mal l’Angleterre si on ne jette un coup de sonde dans ses dessous de souffrance et de misère, et, n’en déplaise aux railleurs, l’Armée du Salut est la plus complète et la plus puissante organisation charitable qu’il y ait en Angleterre. On commence du reste à lui rendre justice. Je trouve mon ami à son bureau, au quartier général. Il me reçoit avec beaucoup de cordialité. Nous causons. Je lui demande sur quoi se porte en ce moment l’activité de l’Armée du Salut. Il me répond : sur les enfans. Il estime à