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le train démarrer, sans qu’aucune acclamation en salue le départ. Il ne faudrait cependant pas conclure de ce que j’ai vu que l’accueil fait à M. Poincaré ait été moins chaleureux qu’on ne l’a dit dans les journaux français et anglais. Pour la foule de Londres, évidemment la fête était finie, mais la vérité a été dite, je crois, par un policeman à une personne de ma connaissance : « M. Poincaré a été reçu avec beaucoup plus d’enthousiasme que l’empereur d’Allemagne et surtout que M. Fallières. »

Je rentre à l’hôtel, et je lis à fond les journaux que je n’avais fait qu’entr’ouvrir ce matin. En plus des détails sur la visite du Président et des débats du Parlement où il ne se passe rien de bien intéressant en ce moment, leurs colonnes sont remplies de deux sujets très différens : un procès et une élection.

Le procès a lieu, d’une part, entre deux personnes très connues dans la société, et, d’autre part, les frères et sœurs d’un millionnaire, — en Angleterre, il faut entendre par ce mot le possesseur d’une fortune d’un million de livres, — qui a déshérité complètement ses héritiers naturels au profit d’un lord et d’une lady qui lui étaient complètement étrangers ; ou plutôt, par une cruelle ironie, il leur a laissé une somme à peu près suffisante pour payer les droits de succession qu’il a mis à leur charge. L’affaire fait beaucoup de bruit, car Lord Sackville, dont le père a été attaché à l’Ambassade d’Angleterre en France du temps de Lord Lyons, porte un nom anglais respectable. Il a épousé sa cousine germaine, fille reconnue d’une danseuse espagnole, et les héritiers naturels du défunt, sir John Scott, qui lui-même avait hérité de la plus grande partie de la fortune Wallace, accusent Lady Sackville d’avoir exercé sur le vieux millionnaire une influence illégitime, — undue influence, — une influence par des procédés mesmériens, a dit l’un d’eux.

C’est un procès en captation. Les avocats les plus illustres du barreau anglais, quelques-uns membres du Parlement, se présentent à la barre, tant du côté des demandeurs que de celui des défendeurs. Le procès se poursuit depuis plusieurs jours, au milieu d’une affluence considérable et élégante, suivant les règles de la procédure anglaise, avec interrogatoire et contre-interrogatoire des témoins par les avocats des deux parties. L’impression morale est peu favorable à Lady et surtout à Lord Sackville. Mais, au point de vue du droit, la thèse de la partie adverse paraît faible. Je suis curieux du résultat.