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en voiture jusqu’aux abords de la station et je descends au coin de la rue par laquelle doit arriver le cortège présidentiel. Je puis, sans difficulté, m’installer au bord du trottoir, à côté d’un policeman. La foule est moins nombreuse que je ne croyais. Elle ne forme guère qu’un cordon pas très épais. Elle est de composition fort modeste ; ce sont des gens occupés qui se rendaient à leur ouvrage et qui se sont arrêtés pour voir. Elle attend patiemment et, une fois de plus, j’admire combien les mesures de police sont bien prises. Pas de barrage anticipé et vexant qui gêne inutilement la circulation. Jusqu’au dernier moment, les voitures passent librement. Des camelots vendent dans la foule un mouchoir symbolique, en papier très léger, qui célèbre l’Entente cordiale, vieille expression renouvelée, je ne suis pas fâché de le constater, de l’histoire de la Monarchie de Juillet et qui a fait fortune ici comme en France. Sur ce mouchoir, deux drapeaux tricolores surmontent le portrait de M. Poincaré. L’encadrement est semé de fleurs de lis en or. L’ingénieux artiste, qui a inventé le dessin, n’était évidemment pas très au courant de nos emblèmes, à moins qu’il n’ait voulu exprimer un regret ou tracer pour la France un programme d’avenir, mais je ne m’en flatte pas.

Un peu avant dix heures, arrivent les premières voitures de la Cour. J’admire ce que nous ne voyons plus guère à Paris : des chevaux magnifiques, à la fois forts et légers, avec de belles actions, uniformément bai brun, bien appareillés, bien attelés. Cochers et valets de pied sont en rouge écarlate. Mais voici le Roi, dans une voiture à deux chevaux, avec le prince de Galles. Quelques hurrahs sur son passage, pas très nourris. Peu d’instans après, M. Poincaré, dans une voiture attelée à la Daumont. Des hurrahs également, un peu plus chaleureux que pour le Roi, mais, pour dire la vérité, moins que je ne m’y attendais d’après ce que j’avais su de sa réception à la Cité. Cependant, tout le monde se découvre sur son passage et il rend les saluts avec beaucoup de dignité. Il ne m’a pas rendu le mien, car il regardait précisément de l’autre côté. Je m’efforce ensuite d’entrer dans la gare et de pénétrer sur le quai d’embarquement, mais une consigne rigoureuse m’en ferme cette fois l’entrée. Je demeure au milieu d’un petit groupe de Françaises, des modistes, je suppose, qui avaient piqué sur leurs corsages des nœuds tricolores et avec lesquelles je fraternise. Je vois de loin