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établi depuis longtemps, on n’a pas l’idée bizarre dont on nous menace, sous prétexte de prévenir la maraude, d’empêcher, quelque temps qu’il fasse, pluie ou neige, un homme ou une femme de monter dans une voiture vide qui passe sous ses yeux et de les forcer à aller chercher au loin une station dont ils ne connaissent pas l’emplacement. La circulation se fait, sinon facilement, du moins avec un ordre parfait. Les policemen la dirigent avec des mouvemens de bras ; ils ont renoncé au bâton blanc que nous leur avons, je crois, emprunté. Point de querelles de piétons à cochers ; c’est l’ordre dans le mouvement et, d’une façon générale, c’est l’impression que me fait toujours Londres. La vie y est intense, mais elle se contient en quelque sorte elle-même, sauf à éclater parfois en manifestations bruyantes. Et c’est pourquoi je suis un des rares Français qui aiment Londres avec son aspect tout ensemble grave et tumultueux. Les passans, — je parle des quartiers du centre, — ont l’air à la fois cérémonieux et pressés. Beaucoup plus d’hommes en chapeaux hauts de forme, même avant midi et dans les parcs, à Rotten Row, par exemple, qu’on n’en verrait dans Paris à cette époque de l’année. Pour les femmes, la mode est pareille, poussée même plus loin ; on en voit à peu près un aussi grand nombre, à demi décolletées dans la rue, et obligées de mouvoir leurs jambes dans un fourreau de parapluie encore plus étroit. Les toilettes sont moins joliment portées, mais l’ensemble a bon air. De même, si les Hansoms ont presque complètement disparu, remplacés par les taxi-autos, on rencontre plus de voitures à chevaux et d’équipages bien tenus, ce qui devient une rareté à Paris. Dans l’ensemble, Paris est plus élégant, Londres est plus comme il faut.

Je n’ai cependant point passé mon après-midi dans cette ville où il y a tant à voir. Je l’ai employée à visiter une demeure moderne, mais pleine d’antiques souvenirs. Un prince jeune encore, mais qui porte sans faiblir le double fardeau de la mémoire de sa mère qui fut une victime de la charité et de son père qui fut un saint, y a rassemblé, ou conservé plutôt, toute une galerie de portraits, qui sont pour lui des portraits de famille, qui, pour d’autres, seraient des portraits historiques, depuis celui de Robert de Clermont, sixième fils de saint Louis, qui fut le premier des Bourbons, jusqu’à ceux de M. le Comte de Paris et M. le Duc de Chartres, qui sont les derniers morts.