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qu’il recevrait, il irait vers l’Est, si Bazaine était encore bloqué à Metz, et vers le Nord, s’il s’était dégagé et se repliait sur Châlons, par Montmédy. Une armée de 140 000 hommes nominalement, en fait de 120 000 hommes au plus, s’engagerait à tâtons entre trois armées victorieuses formant un total de 511 000 hommes !

Cette stratégie sera l’éternel étonnement de l’histoire. On pourrait se dispenser de narrer les péripéties à travers lesquelles Mac Mahon est allé à la catastrophe. On ne peut pas exécuter bien un plan impraticable : quoi qu’il fit, qu’il manœuvrât plus ou moins correctement, qu’il allât à l’Est ou au Nord, qu’il disposât plus ou moins heureusement ses troupes, que, par miracle même, il obtint un avantage provisoire, quelques jours plus tôt ou quelques jours plus tard, il serait entouré, cerné, obligé de mettre bas les armes. Le lieu où s’opérerait la capitulation n’était pas encore déterminé, mais la capitulation était certaine. Dès le début des hostilités, Moltke s’était donné pour but de couper l’armée française de ses communications avec le centre du pays et de l’acculer vers le Nord aux frontières belges : nous allions nous-mêmes, volontairement, là où il aurait eu de la peine à nous refouler, et nous nous enfoncions spontanément dans la souricière où il projetait de nous étrangler. Pauvre, pauvre chère France ! tu es perdue. Le suicide militaire commence.

La dernière chance de salut qui nous restât était que Mac Mahon se refusât à exécuter l’ordre néfaste, et que, par son refus, il obligeât à l’abandonner.


EMILE OLLIVIER.