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Le 26, les trois colonnes réunies, qui eussent compté au moins 120 000 hommes, se jetteraient sur les 130 000 hommes de l’armée du prince de Saxe, entre Verdun et Etain. Si l’armée prussienne de Metz tentait de venir appuyer celle du prince de Saxe, elle attirait derrière elle l’armée de Bazaine qui, dans les journées du 14 et du 16, avait soutenu seule les efforts des armées réunies des Prussiens et des Saxons. Alors la position des deux armées allemandes entre deux armées françaises devenait très critique. Si, au contraire, larmée du prince Frédéric-Charles ne se détournait pas de Metz, l’armée saxonne essuyait très probablement une défaite qui la rejetait sur Metz. Cette armée étant obligée de se retirer, Metz était débloqué, jonction était faite ; 250 000 hommes se trouvaient réunis dans la main de chefs vigoureux. Le soldat français, dont le caractère militaire se développe surtout dans la guerre offensive, aurait repris son ardeur habituelle. L’armée du prince royal de Prusse, quelque rapide qu’ait été sa marche, n’aurait pu se trouver devant cette armée imposante que le 29 août, après trois jours de marches forcées, puisque, le 26, il était encore à Vitry-le-François et ne serait arrivé sur le champ de bataille qu’avec une armée épuisée de fatigue.

Palikao voulait en outre transporter à Belfort, par les voies rapides, un 14e corps de 30 000 hommes qu’il avait formé sous les ordres du général Renault. Ces 30 000 hommes eussent été lancés sur le duché de Bade pour y jeter l’épouvante, y opérer une diversion, puis se seraient repliés sur Belfort. Le Conseil des ministres considéra cette dernière partie du plan comme une aventure et n’y donna pas son approbation. Or, tel était le cas pour le mouvement ordonné de Paris à Mac Mahon, sur des indications plus que vagues d’un télégramme chiffré de Bazaine.

Palikao a invoqué l’autorité de Dumouriez : il aurait voulu appliquer en la retournant l’inspiration stratégique qui, en 1792, avait sauvé la France. D’après l’avis des juges compétens, la stratégie de Dumouriez, qui n’entendait rien à la grande guerre[1], malgré le succès qu’elle a obtenu par hasard, ne vaut pas d’être imitée. Gouvion-Saint-Cyr a expliqué pourquoi : « Dumouriez était faible pour espérer combattre le duc de Brunswick de front ; il eût arrêté bien plus sûrement son mouvement

  1. Jomini, Procès, chap. Il, art. 14.