Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/519

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi bien constituée que l’armée d’Austerlitz, — c’était vouloir l’impossible et les conduire à un échec certain[1]. »

Thiers n’avait pas commandé une manœuvre à quatre hommes et un caporal, mais il en savait plus que la plupart de ceux qui l’avaient commandée et il a répondu également à la fanfaronnade de Palikao : « Je puis dire que tous les soirs, M. le général Trochu et moi, nous avons supplié le gouvernement de ne pas commettre la dernière faute qui devait être mortelle, celle d’essayer de percer cette muraille d’airain. Percer le mur d’airain formé par les Prussiens, c’était évidemment impossible. On nous disait qu’on voulait débloquer le maréchal Bazaine ; je répondais : « Bon Dieu ! vous voulez le débloquer, soit ; mais il y aura deux bloqués au lieu d’un. » J’aurais dû dire, si j’avais pu prévoir toute l’horreur des événemens : deux capitules au lieu d’un[2]. »

La proposition de Palikao doit être renversée et remplacée par celle-ci : Il n’est pas un homme réfléchi, qu’il eût ou non commandé à quatre hommes et un caporal, qui n’ait blâmé, et c’est peu dire, réprouvé, à ce moment, ce projet de perdition d’envoyer Mac Mahon vers Bazaine.

Palikao, avec son sans-gêne habituel d’affirmation, a prétendu que son plan avait été inspiré par des considérations militaires, et non par des considérations politiques. L’Empereur l’a rappelé à la vérité. Il écrivit de Wilhelmshöhe à sir John Burgoyne (29 octobre 1870) : « Revenu à Châlons, j’ai voulu conduire la dernière armée qui restait à Paris, mais des considérations politiques nous ont forcés à faire la marche la plus imprudente et la moins stratégique, qui a fini par le désastre de Sedan. »

Ces considérations politiques auxquelles l’Empereur cédait sont encore moins justifiables que les sophismes stratégiques par lesquels on les a couvertes. La première était l’idée de tenir l’Empereur éloigné de Paris, et, pour cela, il fallait que l’armée elle-même n’y revînt pas. La seconde était la crainte qu’une révolution n’éclatât à Paris si on paraissait abandonner Bazaine, c’est-à-dire qu’on subordonnait le plan qui devait sauver La France à ces considérations personnelles et dynastiques dont l’Impératrice affirmait à tout propos faire le sacrifice.

  1. La dépêche du 20 août 1870.
  2. Discours du 8 juin 1872.